En
écho au post sur les bordures d'images, voici un ensemble de Victor Brauner (1903-1966), réalisé en 1965 qui est un cas limite, trouble
justement, entre bordure d'image et cadre. Ses dernières œuvres
ont été réalisées par l'artiste avant sa mort. Cet ensemble est constitué de 14 oeuvres
qui appartiennent au musée
de l'Abbaye Sainte-Croix, aux Sables d'Olonne, est constitué de 2
séries : 9 Mythologies et 4 Mères (fête des mères) auxquels
s'ajoute « le Bel animal moderne ». Toutes les œuvres
sont assemblées selon le principe identique d'un panneau de toile
peinte encastré dans un cadre de bois également peint et conçu
selon une forme plus ou moins évocatrice. C'est la beauté de la
gamme chromatique, la liberté figurale et la mise en scène hyper
efficace des scènes, à la fois primitif et pop qui m'ont surtout retenu.
Cette
série met en scène et questionne l’humain, l’animal et le
végétal. Ce sont des créatures primitives ni hommes ni femmes, ou
peut-être bien les deux à la fois. On est donc dans un registre de
brouillage des limites (dont ce jeux avec la cadre fait partie) et
des définitions : enfance (formes scolaires de vaisseaux,
voitures ou même forme hybrides de poisson-voiture ou
sein-voiture-télévision. On est à la fois dans la salle de classe
à l'ancienne et dans l'objet artisanal pièce unique (chaque cadre en
bois est façonné traité, gravé et dessiné selon des registres
décoratifs divers en écho à des zones et tradition culturelles
multiples). Ces cadres en bois réalisés par l'artiste avant sa mort
font bien sur penser à des cercueils, mais de façon symbolique et
ludique, pas dramatique, comme des navires égyptiens ou des
reliquaires, qui vont faire tenir l'image dans l'avenir et les aider
à traverser le temps et la mort. Les cadres donnent une solidité, un corps, à
ce qui s'y insert. Justement des formes plus fluides et élastiques,
multiples, comme des intérieurs de ventres (d'où le titre de
Mères). Cette situation topographique et imaginaire lui permet
d'inventer des corps, des formes de corps, des rapports de corps dans
une logique perverse et polymorphe, érotique et infantile, animale
et gourmande, jouissive et arbitraire.
Êtres
(bébé ou adulte ? ) tétant au sein avec une double langue et une
érection, corps qui aurait mangé (sniffé ?) le soleil et
assis sur la lune, gémellité et division des cellules dans le cadre
serpent (nouvel Adam & Eve?), tête à la fois sexes, serpent,
casques, masques, prolongement joyeux de l'animal en humain ou
l'inverse, vocabulaire formel identique recombiné circulant d'un
tableau à l'autre. Voici une narration (un dessin animé qui annonce
les Shadoks ?) ludique et sexuelle, fluide et incarnée, qui reprend
les figures et codes de sa fin de carrière (scène de rêve, scène
sexuelles, chimères dont je ne résiste pas au plaisir de partager
quelques exemples en fin de post).
Le
saut qualitatif entre cette série (par le cadre) et ses précédentes
oeuvres, est un saut conceptuel qui met une distance entre l'image
et le monde qui la regarde mais paradoxalement s'émancipe de la
convention ordinaire qui fait qu'on peut voir toute image
moderne/surréaliste comme une fenêtre sur un outre monde. Ici,
l'image devient un objet DANS notre monde, une trace d'une
civilisation/d'une culture parmi nous. Elle est PROJETEE dans notre
monde autant que nous pouvons nous y projeter. Il dépasse ainsi les
influences trop prononcées dans son travail (à mon goût) de Klee
et Ernst pour ouvrir sur une iconographie dont Dorothy Iannone,
William Copley ou même Marisol Escobar pourraient se revendiquer.
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Victor Brauner, La passivité comblée, 1964 |
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Victor Brauner, victor victorel procureur général de l'orgasme propulseur, 1949 |
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Victor Brauner, Totalité Androgyne VI. 1961. 100 x 81cm |
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Victor Brauner, victor Victorel à l'hypercoït barbarogéne, 1949 |
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William Copley, variation on someone else's theme, 1980 |
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Marisol Escobar, couples |