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no title, 1960, huile sur toile, 91 x 91 cm |
A nouveau, une réaction à la lecture
d'un livre acheté récemment, Eva Hesse Spectres 1960, un
catalogue publié par Yale en 2010 sur une série de peintures de
jeunesse de la célèbre sculptrice. Avant de commencer mes
critiques, je tiens à signaler cet ouvrage, la qualité des
reproductions et des nombreuses descriptions détaillées d'oeuvres,
pour le fait qu'il existe enfin pour mettre en exergue ce travail
pictural peu connu. Mais justement mes critiques portent sur les
textes et leur façon de revaloriser ce travail, très maladroit et
même parfois très contre-productif.
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no title, 1960 (et détail) |
Il est ouvertement dit que l'on ne
saurait quoi penser de ces peintures si l'artiste n'avait produit
ensuite ces sculptures, et même que l'on n'en ferait pas grand cas
!!! Dans son introduction, Helen Molesworth critique à juste titre
l'opinion canonique qui voudrait que, avant 1965, ce soit un faux
départ pour Hesse, opinion (circonstanciée et stratégique alors)
établie par Lucy Lippard. Mais bizarrement, les autres textes du
catalogue tentent désespérément de situer, justifier, valider et
comprendre ces peintures, jugées «enfantines, mystérieuses,
à la limite du grotesque » (selon Louise S. Milne).
Elisabeth Bronfen déclare qu'on ne peut les voir que comme des «miroirs du Soi», des «autoportraits»
et images déformés de « sa vie intérieure » !
ou de la construction de soi ! La pauvre Eva Hesse, traité comme une
malade, une indigène d'un pays troublé et lointain colonisé par le
savoir adulte et valide des historiens de l'art !
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no title, 1960, huile sur toile, 125 x 123 cm |
Et donc sur les nombreuses pages de
texte du catalogue, on filtre TOUT par le biais de la biographie
: elle a été traumatisée par la seconde guerre mondiale, le
suicide de sa mère, son mariage récent, on donne le nom de son psy,
on cite des témoignages de proches, son journal et sa
correspondance, etc. En plus, elle vient d'Allemagne, donc on peut
justifier des liens stylistiques avec le Cri de Munch (!) et bien sur
faire appel à d'innombrables de citation de Freud, Lacan, Kristeva,
Mary Shelley, Frankenstein et des auteurs féministes américaines.
Il est vraiment très surprenant de lire des textes qui défendent
ces œuvres là mais au fond sont très embarrassés par leur sujet,
sans s'en cacher d'ailleurs. Le dernier texte conclut même sur
l'intérêt de cette exposition pour la connaissance qu'il nous donne
de la vie intérieure de l'artiste au seuil de ses grandes créations
à venir, annulant (presque) tout le sens du présent projet !! Si
cela ne m'intéresse pas de savoir si elles ont raison ou pas (seule
l'artiste pourrait nous le dire mais elle n'est plus là), ce qui
m'intéresse c'est de pouvoir regarder et apprécier les œuvres et
les laisser exister comme œuvres, à part entière, aujourd'hui
encore vivantes. Je voudrais qu'on REGARDE finalement les peintures.
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non identifié |
Donc voici une sélection de travaux
qui excèdent ceux présentés dans cet ouvrage, que je recommande
quand même, pour altérer, assouplir notre regard sur cet œuvre,
l'élargir, pour essayer de bouger hors des catégories établies
auxquelles les auteurs se soumettent maladroitement. Ses toiles ont
été diffusés et exposées pour la première fois en 2010, il en
existe 48 de cette époque, 21 sont rassemblées sous le terme de
Spectres, autour de figures, visages, cranes, poupées, couples à la
limite d'apparaitre/disparaitre, corps transparents sur les fonds.
Ce trouble constitue bien le sujet des toiles. Des coiffes peuvent
être des chapeaux, on ne sait pas si on est devant ou dedans ses
corps-visages. Si cela est dramatique ou grotesque, cartoonesque
même. S'il s'agit de portraits ce sont forcément aussi des
dialogues, mais entre soi et la peinture, pas entre soi et soi. La
réalité des matériaux est indéniable et produit l'image. Citons
ici Hesse elle-même :
«Do what you feel, remember irst
guess is good » … Elle décrit ses peintures ainsi
: « Free in feeling and handling of medium … Ultra
alive … My last two paintings look good to me, they are painterly,
they are developped images, they were really built, made and came
into being. Both of them spoke back to me. »
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no title, 1960, huile sur toile, 91 x 91 cm |
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no title, 1960, huile sur toile |
J'adore ici cette formule :
ultra alive et ce champ-contre-champ entre elle et sa toile.
L'image me regarde. Preuve d'une vie PRODUITE par l'oeuvre. Oui, on
peut biologiser l'oeuvre ! Ce rapport au vivant
rejoint mon texte récent sur Haraway et exprime exactement ce que je
recherche quand je travaille, que ce qui se produit me renvoie un
regard, constitue une présence, indéniable qui demande alors
à être acceptée, développée ou validée telle quelle.
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no title, 1960 huile sur toile, 45 x 40 cm |
Ces peintures sont plutôt facilement
visibles pour nous aujourd'hui, hors du seul contexte expressionniste
abstrait (et tirées hors de l'influence réelle de Pollock, Gorky,
De Kooning bien sur) parce qu'on connait la Bad painting, Basquiat,
Asger Jorn ou Dubuffet, mais aussi Philip Guston, Miriam Cahn,
Marlene Dumas et Maria Lassnig (jamais mentionnés dans ce catalogue
qui SEPARE et veut identifier isolément Hesse, croyant que cela lui
sert). Il faudrait d'ailleurs revenir sur la dimension graphique
cartoonesque présente chez les AbEx (un vrai chantier pour les
historiens) dont je place ici quelques exemples.
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William de Kooning, pink angels, 1945 |
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Hans Hoffman, the mannequin, 1946 |
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William Baziotes, green dwarf, 1947 |
Venons en aux œuvres. J'aime ici ses
couleurs : sa palette de mélange long et denses :
allant du gris au marron pâle à la limite du violet/lavande. Ses
dorés crémeux virevoltant dans le reste de la toile pour embarquer
du blanc, marron et tracer, nuancer, dégrader ou contraster en même
temps, dans le même mouvement. Ce qui produit en plus des effets de
lumière et d'éclairage incroyables, métallisés, phosphorescent.
En cela sa palette anticipe Lassnig, Sonnier ou Cahn. On sent de
longs balayages, répétés, rebondissant entre les bords et la
figure, qui sont autant de moments de réglages de ses couleurs,
laissant l'historique et l'évolution visible par endroit ou pas
transparence.
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no title, vers 1960, 61 x 61 cm |
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non identifié |
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non identifié |
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1960, huile sur toile, 51 x 51cm |
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no title, 1960, 45 x 38 cm |
J'aime sa façon de dessiner en peignant,
de surprendre par le choix de la couleur qui trace, consolide un bord
d'épaule, de torse, une courbe. Ou alors, le bout de bois du pinceau
qui gratte, griffe et grave la surface. Son coup de pinceau est sans
complexe ni manière, elle profite de détails, passages et stries en
bordures d'une couleur avec une autre pour marquer des traits
d'expression aux personnages, plis d'oeil, sourires, tension du cou,
du buste, fictions de matières... Les toiles sont travaillées
longtemps et intensément. Elles s'ouvrent en deux parfois sur un
duo, un vis a vis de 2 personnages, une danse, une esquive où
s'incarne la question du contraste entre eux, de la complémentarité
des couleurs, des résidus de l'un dans l'autre et du fond qui les
connecte. Ses fonds presque byzantins sont chargés, lourds comme du
mercure, électriques et contagieux. Tendus entre pâte et matière
visqueuse, collante, gluante (peinture à l'huile) et liquidité
fluide, coulures et jus baveux. On est dans un carnaval plongés dans
une brume ou sortie de vapeurs toxiques, gothiques de science fiction
des années 80. Ses surfaces qui suintent, grasses, vibrent de
coulures et empâtement en sous-couches multiples sont déjà des
questions propres à ses sculptures.
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no title, 1962, huile sur toile |
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no title, 1960, huile sur toile, 91.4 x 91.4 cm |
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no title 1962, 21.5 x 27.8 cm Graphite, gouache, crayon, black ink and collage paper |
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No title, 1961, huile sur toile |
Les corps-formes bougent et cherchent
une place dans ses compositions, dans des formats carrés ou presque.
Jeu avec les bords, décentrés, sautant, vrillant, vacillant,
surpris et hagards, oscillant entre le bord et l'interaction avec
l'autre forme dans le cadre. La question qui se développe ensuite,
avec les couleurs plus pop (rose, jaune, vert), plus pleines et
séparées seraient peut-être celle de la cellule, de ce qui se
divise, se place, s'emboîte, se sépare, trouve un passage et
explicite pour le spectateur les flux en jeu dans le travail. Des
jeux de constructions apparaissent, blocs, barres, empilements ou
bien agrégats (si on considère qu'on voit d'en face ou du dessus)
puis entrelacs, donc jets et surgissements/enfouissements, ondes et
spirales. Le dessin s'assume d'avantage seul, presque comme croquis
de machineries, comme ligne de structure avant le volume et la mise
en espace. Mais toujours cette question de la transparence, du
translucide, d'une lumière qui passe dans l'oeuvre, le corps des
formes semble essentielle. Chaque période, support et matériaux
permet une approche tactile différente et interroge chaque fois
différemment la psychologie de la perception de l'oeuvre par
celui/celle qui lui fait face.
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1965, no title_encre et gouache sur papier 50 x 65 cm |
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H+H, 1965, Varnish, ink, gouache, enamel, cord, metal, wood, papier-mâché |
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Legs of a walkin ball, 1965 |
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1965, no title_encre et gouache sur papier 50 x 65 cm |
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sans titre, 1964 |
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1963 drawing 57 x 72.4 cm |
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sans titre, 1963, sur papier 38 x 25 cm |
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Top Shot 1965 Flexible metal cord, electrical cord, metal hardware, paint |
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sans titre, 1964, encre sur papier |
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no title 1965, oil canvas 87 x 104 cm |
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3 oeuvres de 1965 |
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vers 1964 |
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Vue de l'atelier, vers 1965 |
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no title, vers 1969/70, gouache et encre sur papier |
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