A propos de "Last Manoeuvres in the Dark" de Fabien Giraud & Raphael Siboni, dans l'exposition "Superdome" au Palais de Tokyo, Paris (29 mai – 24 août 2008)
"Comme de longs échos qui de loin se confondent
dans une ténébreuses et profonde unité"
correspon-dances, Baudelaire
Il faut passer outre la communication faite autour de cette pièce , même si je me suis amusé à relever les adjectifs et expressions employés : « le tube des Ténèbres, Surpuissant, absolu, maléfique, le plus sombre de tous les temps, ultime et unique, infini, superlative et abyssale », semblable à une bande annonce Hollywoodienne ou plutôt à sa parodie.
Si je parle ici de cette pièce, c'est d'abord pour les liens qu'elle entretient avec les précédents posts de ce blog, particulièrement celui sur Clamor pour le rapport entre POP musique et militarisme.
D'abord, il faut expliquer un minimum comment ca marche. Nous nous retrouvons davant une armée de Dark Vador dont nous pouvons entendre le bourdonnement cérébral collectif. A partir d’une mémoire composée d’une multitude de morceaux de musiques allant de la techno hardcore (gabber) au requiem de Fauré, codés en MIDI , l’ordinateur a été programmé pour apprendre à jouer et à composer avec cette mémoire. Des gestes de mixeurs, de musiciens et d’informaticien ont été pré-programmés de façon à rendre le système de diffusion de la musique LIVE au lieu d’en faire un simple jukebox (ipod) aléatoire. Si ce genre de manipulations peut sembler être du chipotage au regard de certains, il faut mettre cela en lien avec les autres éléments de la pièce : les masques en terre cuite + le dispositif de diffusion et de visibilité.
Chaque casque correspond à un micro-processeur (n’ayez pas peur de voir ces termes dans l’art, vous les utilisez tous les jours avec votre ordinateur). Le micro-processeur est dans le casque mais pourrait tout aussi bien être placé dans l’unité centrale, cela ne change rien à son fonctionnement. Nous voyons donc en fait un ordinateur étendu dans l'espace (dixit Fabien Giraud), Chacun joue et apprend à jouer en fonction des autres qui font de même (si j’ai bien compris).
Chaque membre de cette intelligence collective est un instrument dans un orchestre (cf. la référence au groupe OMD sans chef. On voit là que sont connectés armée + informatique + musique : sous les paradigmes de Chef / exécutant, Cerveau / petites mains, programmation / exécution live. Ce qui rejoint bien-sur des questions de création et de sculpture monumentale : en terme de décisions à prendre et de contexte de production pour les 2 artistes. Le sujet reflète la pièce à regarder.
Tark Zaki, time machime remembering tomorrow, detail of fossile plaster, 2004
Sculpture en bois du Bénin, Collection Berggruen, Berlin
The Straight edge de Fabien Giraud travaillait déjà sur les questions de l'exercice du pouvoir sur la matière vivante : diriger une foule de danseurs comme on manipule un magnétoscope (pause, mute, slo-mo, play, rewind). Le projet réalisé avec Raphael Siboni pour la Biennale de Santa Fe 2008 fait fondre une sculpture de bronze pour lui donner une nouvelle forme puis la fait retourner à son état précédent (avec un manque apparent). Cette logique digestive très littéralement revendiquée à la Biennale de Lyon par le même duo Giraud-Siboni joue sur les notions de puissance à l’œuvre dans l’acte de création ainsi que de process / de traitement. Mais la matière est forcément aussi et surtout déjà un code, elle contient une information qui a été mise en elle avant que soi même on y intervienne.
Ici le jouet « Masque de Dark Vador » est cet information, objet synthétique culturellement et incarné pour le coup dans le matériau archaïque de la sculpture et de la création : la terre cuite. Au-delà du jeu entre Haute culture et sous-culture, c’est plutôt un jeu sur le génératif, sur comment un contexte produit et incarne une instance dans une forme. Ici des têtes typiques d’un pouvoir royal et central décapité sont exhibés sur des piques. ON passe du UN au multiple, du personnage au produit dérivé.
Cette pièce fonctionne en 2 temps : d'abord voir la sculpture dans l'espace, qui se darde face à vous, puis dnas un deuxième temps en faire le tour, comme totue scuilpture et arriver à son dos ou son coeur : la tour, le disque dur central, semblable au monolith ede 2001. Est-ce de là que partent les ordres ? Pas vraiment puisque chaque masque-processeur-individu joue un rôle de décideur. On voit bien ici se déssiner une distinction entre pouvoir militaire et pouvoir POP, celle de la création d'un mythe culturel, d'un mouvement et d'une énergie sans tête, mais avec un corps. Le mythe de la Guerre des Etoiles est donc à voir ici comme figure générique de la culture du fan se réappropriant un icone, la customisant et la démultipliant dans un usage qui échappe à ses créateur d'origine. Armée + informatique + musique se rejoignent dans le travail de création qui rejoint ici celui de la création spontanée et collective de la culture pop actuelle.
La notion de MAL trop mise en avant dans la communication, ne veut rien dire pour nous, en tant que concept. Je pense qu'il faut plutôt la remplacer ici par celle de destruction. En transformant des musiques gothiques et sombres en simple techno ou dark ambient, très énergétique tout en étant assez retenue (pas festive), on sent une véritable énergie se déployer dans l'espace d'exposition, l'énergie de la danse potentielle, de la dépense. Mais cette dépense ne s'organise pas autour d'un chef, gourou, DJ ou maitre de cérémonie. elle est décentrée et mise en réseau. Exhiber une sculpture qui continue de se créer, d'évoluer (par la musique produite) est une réponse à la force du mal ou donc plutot au principe de destruction initialement véhiculé par Dark Vador.
La rigidité militaire des masques devient comique mais sert de contrepoint, de zéro pour un mouvement possible. Jeu érotique semblable à Kraftwerk sur scène. Produire une musique énergétique et tribale en restant de marbre (ou plutôt de terre cuite) rend l’énergie encore plus vive et tendue de n’être pas dépensée. Les musiciens Dark sont des chanteurs qui ne vocalisent pas. Comme le fantôme de l’opéra, ils ont une machine branchée sur leurs cordes vocales, le bourdonnement des basses qui résonne à l’intérieur du crâne est capté et collectivisé. On approche d'un rêve de musique télépathique telle que rêvée par Stockhausen dans les années 70.
Robert Filliou, musique télépathique
Vanessa Beecroft, performance 2007
Duchamp, 16 miles of string 1942
Si on néglige cette dimension culturelle de la musique produite toute seule, ou du moins reconstituant ce qui se passe dans la culture populaire aujourd'hui, on ne voit qu'une sculpture de Jeff Koons (qui veut rassurer le public et rendre décomplexer de sa culture pop) corrigée par Steven Parrino, c'est-à-dire, non plus dans la culture pop colorée et marchande mais la sous-culture pop alternative (de Batman aux free parties). Cette dernière étant désormais aussi marchande et acceptée, surtout dans l’esthétique du luxe (les lustres en cristal noir de Starck).
Gary Hill, installation au Louvre
On peut pointer vers 2 précédents liés à cette pièce : la collection de Pokémon en terre cuite de Jean Bedez et l'intervention de Gary Hill au Louvre en 2004, où il mettait en relation les premiers signes d'écriture cunéiformes dans l'argile avec les plus récents modes d'écriture de l'image de synthèse (du 0 et du 1), deux moments historiques ayant en commun une imagerie militaire et guerrière : récits de guerre sur les batons de signes cunéiformes et tank en 3D accompagnés de discours de George Bush sur l'Irak.
Plus d'explication sur la conception technique de l'oeuvre dans le prochain numéro du magazine musical anglais The wire
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire