Achat et Lecture de Penser l'image (publié fin 2010 aux Presses du réel), et plus particulièrement lecture des très bons textes de Gottfried Boehm, Hans Belting, Georges Didi-Huberman (et je n'ai pas encore tout lu) et surtout W.J.T. Mitchell qui m'a vivifié, rassuré (sentiment de ne pas être le seul à penser ce qu'on pense) et qui a formulé beaucoup d'intuitions personnelles.
Son essai, Que veulent réellement les images? "vise à localiser le désir des images, ce qu’elles veulent». Oui, il formule l'hypothèse que les images désirent ! Avec ce que cela entraine de personnification et de subjectivation des images qui les ramène vers le fétichisme, l’animisme et le totémisme, ce que la raison (et la modernité) n'aime pas trop. Avec ce que cela comporte donc de «régressif» (au sens péjoratif) pour la pensée et la philosophie de l’esthétique.
Mitchell assume tout à fait cette péjoration et lutte contre, il se sert ici des cultural studies et des études qui se sont fondées sur la défense de la parole des minorités, (sexuelles ou raciales) pour les transférer sur les images elles-même, considérées comme minorité censurée et manipulée, bref, discriminée. On aurait ainsi prétendu parler à leur place. Il revient sur le mépris moderne et marxiste pour l’image: objet de manipulation des masses, son idolâtrie populaire, sa servilité publicitaire… pas fausses mais là-dessus, je renvoie à Didi-Huberman sur France Culture il y a qq. jours (qui parle justement de rendre sa puissance à l’image et donc de la nécessité essentielle de lutter par l’image contre les «mauvais usages» de l’image; comme on le fait avec les mots pour ne pas laisser les discours qui veulent confisquer/détourner certaines notions politiques et idéologiques).
L'analyse de Mitchell rencontre mes recherches sur l’image comme personnage (voir mon texte dans le catalogue de la série d'expositions du Bureau/ Un Plan Simple). L'auteur parle de la face/visagéité des images, qu’elles montrent des corps ou non. Il conçoit une image qui s’adresse à nous et qui apparait avec un corps, une image qui fonctionne comme un miroir anthropologique, faite de même et d'autres. Une pensée très stimulante du coup.
Il met les pieds dans le plat en posant une opposition très vraie selon moi, entre l’image comme femme, et le porteur de regard/spectateur comme homme ! Si on laisse de coté les clichés sur le métal viril et le textile féminin, on est obligé de reconnaitre que ces associations existent mais qu'on peut en jouer et que ça se déplace sans cesse et que ca se mélange dans nos corps et nos pratiques. Cela engage énormément nos activités de fabricants d’images et de travail sur le genre, sur notre posture de genre, même notre conscience de genre dans nos choix de matériau, d'échelles de travail, de référents, de couleurs et de technicité, entre autres topos de la création.
Le terme de queer apparait chez nous en ce moment, mais je pense que ça va au-delà. Le choix des matériaux, de nos pratiques, la virilité ou fragilité qui leur est associée, la façon d’installer et de nommer nos œuvres disent et écrivent une posture de pouvoir et de rapport au masculin/féminin. C’est assez inconscient (voir le succès des artistes-architectes-ingénieurs-bâtisseurs-maquetteurs-géomètres-concepteurs) mais justement d’autant plus actif que cela agit en arrière-plan idéologique impensé.
Pour ensuite répondre à la question du titre : que veulent les images ? Souvent, dit-il, on leur fait vendre quelque chose : des produits ou, chez les artistes, des concepts. Ou bien on leur fait montrer comment leurs producteurs sont intelligents et cultivées ou habiles. On veut faire des images soit le véhicule d’un message soit un outil de pouvoir. Et les artistes sont les premiers à opter pour ces deux usages de l’image. Car véritablement, nous sommes tous confrontés à ceci : l’image doit capturer, captiver, retenir le spectateur. Si le spectateur passe trop vite dessus, c’est raté ! Les images veulent donc notre attention, elles nous veulent.
L’analyse de Mitchell déçoit ensuite car les images qu’il utilise en exemple sont des images de propagandes et affiches célèbres du 20eme siècle. Il les analyse avec informations et empathie et cela lui permet méthodologiquement de spéculer de façon très stimulante. Il parle d’un corps des images, d’images qui ont des trous, des orifices (yeux, bouches) et qui ont des mains qui veulent nous toucher. Il parle d’images vampires qui veulent que notre corps deviennent comme elles, qui veulent se déposer en nous et trouver en nous des acteurs aux personnages qu’elles proposent d’incarner. Donc en pleine logique chrétienne. A l’inverse, il passe évoque trop vite le désir sous-jacent de la modernité (à partir des formulations de Fried) de se débarrasser du corps et du désir dans l’image, ce qu'aurait dinc produit l’abstraction avec son idéologie de la pureté, de la transcendance, de l’esprit dominant sur le corps etc…
De façon plus subtile, à partir des montages textes-images de Barbara Kruger: il montre en quoi 3 paroles, 3 lieux d’énonciations cohabitent dans l'image: l’objet représenté, la photo-œuvre et l’artiste. Tous les 3 nous s’adressent à nous. Ils ne nous parlent pas seulement, ils sont présents et agissent. Mais Mitchell possède l’humilité et le recul pour se rendre compte que, encore et toujours, il ne travaille ici qu’au niveau du message, de la sémiologie. C’est là que sa pensée doit donc être relayée par des artistes, en acte, avec la conscience et les jeux (de rôles, de points de vue, etc) que cela ouvre. D’où mes recherches actuelles sur le masque : Qui est masqué ? Qu'est-ce qui est masqué ? Qui parle ? Que dit le masque ? Que dit ce qui est sous le masque ? Et sur les arlequins (comme bouches multiples – et pourquoi pas contradictoires - dans un seul corps).
Il s’agit surtout de faire attention à la place qu’on lui accorde en nous, à la façon dont on fait résonner et dont on donne voix à un désir qui transparait d’elle, sans se tromper : «Les images veulent les même droits que le langage, et NON ETRE TRANSFORMEES EN LANGAGE» (je souligne), il voit l’image, justement, comme une personne qu’on rencontre dans la rue et qu’on salue en soulevant son chapeau : "au fond, les images veulent simplement qu’on leur demande ce qu’elles veulent" et même, j'ajouterai le temps (en soi) et le respect d’écouter cette demande, par contre sans aucun ramollissement de l’analyse critique bien sur. Comme on le fait avec les personnes qu’on aime : exigence et empathie maximales.
Mitchell, ne fait qu'entrouvrir ce qui se révèle donc être une superbe piste d'approche des images, incluant les sciences humaines et l'analyse et en appelant l'inclusion des effets, du jeu intime et formelle dans l'image sur le spectateur qui prète son corps et son esprit à l'image qui s'adresse à lui.
Graham Little, rose lady, 2010, crayons de couleurs et gouache, 27 x 31 cm
Merci donc aux éditeurs de cet ouvrage, Emmanuel Alloa aux Presses du réel pour ces traductions d’auteurs rares en France. Je recommande un livre que Amazon vient de me livrer: de WJT Mitchell, What do pictures want ? (the lives & loves of images) University of Chicago Press, 2005, en anglais donc et en cours de traduction. Ceci s’adresse aussi à tous les acteurs actuels de l’art qui ne pensent que par le texte, le discours, le livre, le papier et le document, bref qui sont devenus aveugles aux formes, des spectateurs aveugles maigres, pales ET bavards. Pour tracer cette généalogie du mépris intellectuel pour l’image que je ressens tant en France, Mitchell cite d’ailleurs le livre de Martin Jay: Downcast eyes, the denigration of vision in 20th century french thought, 1993, University of California Press, à lire donc. Ce sont donc les californiens (!) qui nous rappellent qu’il ne faut point être trop anti-rétinien et ne pas oublier de faire usage de ses yeux (croire aux pouvoirs de la caméra et du cinéma comme le fait Godard). Il s'agit simplement de savoir être multiple, chercheurs et lecteurs mais aussi de prendre le risque de faire face aux images, de poser son corps devant en silence. C'est un vrai risque, celui d'être troublé. Beaucoup d'œuvres permettent de parler et de raconter des tas de choses (on adore tous ça), mais ne tiennent pas en face d'un corps qui la regarde ou sont ridicules comme organisations formelles. A vouloir trop échanger, on oublie ce sur quoi on voulait échanger et qu’il existe des objets-œuvres face à nous, pas que des mots en(tre) nous (je renvoie ici à mon post sur les expos qui n'ont pas eu lieu en France en 2010)
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