lundi 10 juin 2013

Les Titres de Jonathan Lasker


A double life, 2003


Ce post monographique ne vise pas à faire découvrir le travail de Jonathan Lasker (même si ce n’est jamais trop tard), étant reconnu et représenté dans de nombreux musées. J’ai personnellement mis du temps à m’intéresser à  son travail, au premier abord une peinture trop dans le discours sur le modernisme (peut-on enfin avancer svp ?) et le commentaire sur la peinture. Egalement trop systématique pour moi : il fait à peu près la même chose depuis plus de 30 ans ... Une fois cela admis et les toiles vues en vrai chez Ropac à Paris en 2012 (avec grand plaisir) et une meilleure connaissance de Guston (son ancêtre je trouve), j’ai été intrigué par ses mises en scène du peindre : à la fois du geste et des traces sur la toile, séduit par ses petits tableaux qui sont le théâtre du faire (humbles, croustillants, vifs, hors du temps, risqués) alors que les grands en sont des remakes « Hollywoodiens » prêts à vendre (plus grand = plus chers : en terme de radicalité et d’avancée conceptuelle, l’art peut mieux faire, mais bon, faut vivre)



scenic remembrance, 2007

Je souhaite donc ici attirer l’attention sur ses titres d’œuvres : par exemple : « A double life » (une double vie) adressée à l’œuvre elle-même et à sa logique de dupliquer/ agrandir les toiles, en même temps qu’un éclairage sur la forme noire et noueuse qui s’observe depuis l’angle en bas à droite dédoublée dans une installation sculpturale.

« Scenic remembrance » : souligne la dimension théâtrale du tableau en même temps qu’il fausse la situation scénique en le plaçant sous le signe du souvenir, plus ou moins exact et donc interprétatif.

« The ecstasy of logic » : qui confronte le chaud et le froid, l’expression et la planification et souligne ainsi le coté inachevé, trop vague mais pourtant juste de façon illustrative du rapport titre-image.



the ecstasy of logic, 1992

The Marriage of Painting and Photography, 2003

« Le mariage de la peinture et de la photographie » qui interroge les présences des formes dans le tableau et le tableau lui-même et trouble la situation du titre, DANS l’œuvre, comme partie intégrante de l’œuvre, ou HORS de l’œuvre, en dessous, comme une légende photographique.



to believe in food, 1991

« To believe in food » : ouvre un autre champ sémantique d’interprétation à ses formes : celui du biologique et du microscopique (assiste—t-on une digestion de formes/organisme par d’autres ?) et joue des conventions de l’imagerie scientifique, de leur dimension de croyance comme de leur arbitraire visuel.



Domestic Setting with Post-Partum Anxiety, 1999


« Domestic Setting with Post-Partum Anxiety » : est beaucoup plus précis et désigne vraiment un espace (domestique) au lieu de jouer à l’entre-deux, mais évidemment aucun moyen de vérifier que ce que le titre dit (quelle différence entre un espace domestique et un lieu d’expo par exemple dans son système)



History of the boudoir, 1998


« History of the boudoir », peinture assez simple et rieuse visuellement, par le titre seul déplace le tout vers un univers autre, aristocratique, secret, élégant, libertin même : c’est-à-dire qu’il appelle la projection et les associations mentales du spectateur à partir d’une base très sommaire.


Les titres Systemic Autonomy, Symbolic framing, Nature as symbolic, plus sérieux et moyennement subtile, titillent les statuts de l’œuvre, de son contenu, de sa valeur, de sa transformation de matière en œuvre, de signes en sens, d’image en texte et de texte en image masi appliqués aux peintures, ils semblent interchangeables et se rient ainsi des concepts et problématiques esthétiques et philosophiques de la peinture. Lasker se confronte aussi à une certaine autocritique (de son systématisme, du trouble entre artifice et sincérité, théâtre et coulisses, vérité picturale et jeu oulipien) et une conscience des limites de son propre système : du coup souriant, désabusé et humble.



Symbolic framing, 2001


Nature as symbolic


systemic autonomy, 2002

S'il y a quelque chose de fatiguant et une connivence implicite, maligne, avec le spectateur qui peut lasser néanmoins son travail recèle de trouvailles et d'une belle recherche sur les rapports du pictural avec le texte, sur la position du titre comme partie intégrante (ou pas) de l’œuvre, et plus profondément sur l’agissement des mots avant, pendant ou après la création, lors de la venue au monde des formes, chez l’artiste comme chez le spectateur. Il y a une vraie enquête génétique, sur la place, la localisation impossible du textuel dans le corps, le sang et le théâtre anatomique de la peinture. Ses titres sont des hypothèses interprétatives dont l’artiste n’est pas forcément la meilleure autorité, la plus fiable. Lasker semble même en lutte avec le métier des commentateurs du pictural, s'escrimant à concilier les paradoxes et à tordre les évidences. Le titre chez lui n’est pas une parole venant du peintre, elle vient d’ailleurs (entendue dans l'atelier devant ses toiles?) ou bien elle ne s’adresse pas obligatoirement à l’œuvre, à cette oeuvre-là. Il interroge l’autonomie du pictural revendiqué par les modernes, distend le lien élastique et entortillé entre image et regard. Son œuvre devient ainsi un vrai théâtre visuel et un jeu de rôle perpétuel dont les traces et signes visuels sont les personnages, jouant des pièces, des situations qu’on leur demande d’incarner avec plus ou moins de talent et de bonne volonté. C’est plus courageux et honnête que le « sans titre », « composition Numéro tant » etc et plus singulier chez les peintres, qui sont souvent assez démunis, paresseux ou inconscients face à ces enjeux.


1 commentaire:

charlie Jeffery a dit…

nice to see that, read your comments, I'm half asleep so I didn't read it properly but I was suddenly struck by some of the forms and they made me think of the works of Len Lye, the new zealand artist, I don't always like them, but some it is really rather agreable. the painting Fern people, and his film tusalava come to mind. and once more I think of how art histories have many paths and hidden figures who could easily stand in for others, had they been in a slightly different place at a given moment. see the article below

http://www.e-flux.com/announcements/points-of-contact-jim-allen-len-lye-helio-oiticica/