jeudi 8 décembre 2016

Victor Brauner et le cadre

En écho au post sur les bordures d'images, voici un ensemble de Victor Brauner (1903-1966), réalisé en 1965 qui est un cas limite, trouble justement, entre bordure d'image et cadre. Ses dernières œuvres ont été réalisées par l'artiste avant sa mort. Cet ensemble est constitué de 14 oeuvres qui appartiennent au musée de l'Abbaye Sainte-Croix, aux Sables d'Olonne, est constitué de 2 séries : 9 Mythologies et 4 Mères (fête des mères) auxquels s'ajoute « le Bel animal moderne ». Toutes les œuvres sont assemblées selon le principe identique d'un panneau de toile peinte encastré dans un cadre de bois également peint et conçu selon une forme plus ou moins évocatrice. C'est la beauté de la gamme chromatique, la liberté figurale et la mise en scène hyper efficace des scènes, à la fois primitif et pop qui m'ont surtout retenu.






Cette série met en scène et questionne l’humain, l’animal et le végétal. Ce sont des créatures primitives ni hommes ni femmes, ou peut-être bien les deux à la fois. On est donc dans un registre de brouillage des limites (dont ce jeux avec la cadre fait partie) et des définitions : enfance (formes scolaires de vaisseaux, voitures ou même forme hybrides de poisson-voiture ou sein-voiture-télévision. On est à la fois dans la salle de classe à l'ancienne et dans l'objet artisanal pièce unique (chaque cadre en bois est façonné traité, gravé et dessiné selon des registres décoratifs divers en écho à des zones et tradition culturelles multiples). Ces cadres en bois réalisés par l'artiste avant sa mort font bien sur penser à des cercueils, mais de façon symbolique et ludique, pas dramatique, comme des navires égyptiens ou des reliquaires, qui vont faire tenir l'image dans l'avenir et les aider à traverser le temps et la mort. Les cadres donnent une solidité, un corps, à ce qui s'y insert. Justement des formes plus fluides et élastiques, multiples, comme des intérieurs de ventres (d'où le titre de Mères). Cette situation topographique et imaginaire lui permet d'inventer des corps, des formes de corps, des rapports de corps dans une logique perverse et polymorphe, érotique et infantile, animale et gourmande, jouissive et arbitraire.










Êtres (bébé ou adulte ? ) tétant au sein avec une double langue et une érection, corps qui aurait mangé (sniffé ?) le soleil et assis sur la lune, gémellité et division des cellules dans le cadre serpent (nouvel Adam & Eve?), tête à la fois sexes, serpent, casques, masques, prolongement joyeux de l'animal en humain ou l'inverse, vocabulaire formel identique recombiné circulant d'un tableau à l'autre. Voici une narration (un dessin animé qui annonce les Shadoks ?) ludique et sexuelle, fluide et incarnée, qui reprend les figures et codes de sa fin de carrière (scène de rêve, scène sexuelles, chimères dont je ne résiste pas au plaisir de partager quelques exemples en fin de post).









Le saut qualitatif entre cette série (par le cadre) et ses précédentes oeuvres, est un saut conceptuel qui met une distance entre l'image et le monde qui la regarde mais paradoxalement s'émancipe de la convention ordinaire qui fait qu'on peut voir toute image moderne/surréaliste comme une fenêtre sur un outre monde. Ici, l'image devient un objet DANS notre monde, une trace d'une civilisation/d'une culture parmi nous. Elle est PROJETEE dans notre monde autant que nous pouvons nous y projeter. Il dépasse ainsi les influences trop prononcées dans son travail (à mon goût) de Klee et Ernst pour ouvrir sur une iconographie dont Dorothy Iannone, William Copley ou même Marisol Escobar pourraient se revendiquer.









Victor Brauner, La passivité comblée, 1964

Victor Brauner, victor victorel procureur général de l'orgasme propulseur, 1949

Victor Brauner, Totalité Androgyne VI. 1961. 100 x 81cm


Victor Brauner, victor Victorel à l'hypercoït barbarogéne, 1949


Dorothy Iannone, vue dans l'exposition Wild Style, Peres project, Berlin

William Copley, variation on someone else's theme, 1980

Marisol Escobar, couples


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