vendredi 30 mai 2008

Volta

A propos de BALK 00:49 de Cindy Van Acker
Solo dansé à Mains D'oeuvres dans le cadre de Mal au Pixel 2008
Caravage, Ste Catherine d'Alexandrie, 1598

D'une obscurité épaisse émerge un corps presque nu, couché sur le sol. Sur un fond noir, ce corps commence à tourner sur lui-même à la manière d'une sculpture posée sur un socle rotatif. Du plafond, un long cable déscend et relie ce corps à une régie électrique, à la salle et à son infra structure. Ce fil est relié à ses bras et jambes et conduit des impulsions électriques dans es muscles qui tressaillent en permanence tout en évoluant dans des mouvements de léver, d'arc, d' écarts des bras et des jambes autour d'un dos et d'un buste toujours rivés au sol. Ce corps solaire et écartelé évoque la figure chrétienne de Saitne Catherine d'Alexandrie, torturée sur une roue qui éclate et cède. Les anglais surnomment le soleil Catherine Wheel, la roue de Catherine.

Louise Bourgeois, Arch of hysteria, 1993

Aaron Siskind, Terror & pleasures of levitation, 1961

Oeuvre d'Henry Moore


Son mouvement tournoyant joue de la lumière dirigée sur elle, d'abord blanche, puis plus dorée et ensuite plus sombre ou plus dure. Cet éclairage modifie et redessine en permanence la disposition de ses membres les uns par rapport aux autres, l'anatomie réelle de son corps est engloutie par l'apparition d'une véritable anatomie archaique et démultipliée du corps, de ses combinaisons, de sa puissance, de sa beauté et de sa monstruosité, alternativement ou simultanément. On passe d'un corps amoureux au corps de la torture, d'un monstre à un animal mythologique, de la naissance d'une divinité au déchet, mais ce qui est intéressant, au delà des oppositions et de la richesse figurative, c'est l'impossibilité à délimiter les passages entre une figure et une autre.

Nu de Brassai

Cranach, la nymphe à la source, 1537



Hans Bellmer, dessin, 1965


Son mouvement continu, perpétuel rend les cicatrices entre ces corps invisibles : ces univers culturels découlent les uns des autres et brouille toute distinction entre sa position spatiale et l'image qu'elle suscite dans notre cerveau. au point où il devient impossible de savoir si c'est elle qui dessine ses figures ou si c'est nous qui les identifions. elle incarne une pure matière charnelle non nommée et qu'on associe alors par défaut à des souvenirs culturels. Elle présente ainsi l'infini inconnu qu'est notre porpre corps vis à vis de l'usage moyen et ordinaire que nous en faisons. Et plus riche que ce qu'en font le film d'action hollywoodien ou la pornographie la plus trash.

Mantegna, Christ mort en raccourci

Une vidéo d'une étoile de mer

Bill Brandt, éléments du livre Perspectives of nudes

Cette spirale du déroulement du cable et ensuite de détachement du fil dure environ 25 minutes puis son corps va se promener, toujours dans un état larvaire, et serpentin sur toute la surface du plateau nu. Un long drone sourd accompagne ses mouvements en dilatant l'espace sonore et la perception du temps. Cindy Van Acker réalise ici un performance physique entre la contortion, l'acrobatie sportive, la danse et la torture.

Magritte, Le palais d'une courtisane, 1928

Elle explore le corps sur un mode électrique, nerveux et élastique. Si cet imaginaire du corps est ancien ou moderne, la perception, sa vitesse figurative et ses morphings continus sont purement électronique. Le son du spectacle prolonge les influx électriques qui innervent son corps. L'électricité est dans le corps, comme une sorte de mine d'or et de puits sans fin, la source d'une d'énergie qui se propage par ondulations, par fréquence, sans contact direct. Sa danse est celle de la matière et pas celle d'une mécanique du corps ou de ses articulations.


Symbole de la pile électrique


L’électricité (du mot grec « elektron » (ελεκτρον) qui désigne l'ambre jaune) est un phénomène physique dû aux différentes charges électriques de la matière se manifestant par une énergie. (Wikipédia)

Insectes fossilisés dans un morceau d'ambre


Le magnétisme animal, séance du Dr Mesmer, gravure, 1780s


Franz West, Biblisches Motiv, 2008

La découverte de l'électricité animale par Luigi Galvani amène Volta à étudier dès 1792 les conditions d'excitation des muscles d'une grenouille. Il peut alors rejeter la théorie de Galvani qui privilégiait la présence de tissu animal et mettre l'accent sur la nécessité d'un circuit électrique fermé constitué de métaux.

Au début de l'année 1800, Volta publie dans une lettre en français datée du 20 mars au président de la Royal Society l'invention de la pile électrique qu'il a mise au point le 17 mars 1800: un empilement de couples de disques zinc-cuivre en contact direct, chaque couple étant séparé du suivant par un morceau de tissu imbibé de saumure (H20+NaCl). Il y souligne le fait que, lorsqu'on les sépare, la lame de cuivre prend une charge négative, et celle de zinc une charge positive. (Wikipédia)

Henry Moore, Reclining Figure, 1951


Eugenia Butler, Girl Looking Down 1975-1981


Franz West, Gartenmobel, 2003


Goltzius, la chute de l'homme, 1616


Dirk Bouts, le martyre de St Erasme


Arshile Gorky, table paysage, 1945


Hans Bellmer, dessin de la série des Céphalopodes


Franz West, drama


Jerome Bosch, Triptyque du jardin des délices (détail)

Julius Popp, Bit.flow, 2006


Max Ernst, Temptation de St Antoine, 1945


Elena Ramos, contortionniste


Nadar, étude pour Gérome, 1860-61 (à l'envers)


Dan Flavin, to Mr and Mrs Giuseppe Agrati, 1964


En 1780, ayant plus de patients qu'il n'en peut traiter individuellement, Mesmer introduit la méthode de traitement collectif dite du « baquet » par laquelle il peut traiter plus de trente personnes à la fois. Les patients, reliés entre eux par des cordes, sont assis autour d'une caisse circulaire en bois de chène, dont le couvercle est percé de trous et de laquelle sortent des tiges en métal qui peuvent être en contact avec différentes parties malades du corps. Au fond de la caisse, sur une couche de verre pilé et de limaille de fer, reposent des bouteilles remplies et rangées symétriquement, certaines pointant vers le centre, d'autres vers la périphérie. Mesmer, dans un habit de soie lilas, et ses aides, qu'il choisissait jeunes et beaux, sont armés d'une baguette de fer de dix à douze pouces dont ils touchent les parties malades du corps des patients. Mesmer accompagne habituellement ses séances de magnétisme en jouant du piano-forte ou de l' harmonica de verre inventé par benjamin Franklin en 1762 (Wikipédia)

Rembrandt, Danae 1636-47


Marbre de Auguste Rodin


Jérome Bosch, La Vision de l'Enfer (détail)

Matisse, papiers découpées


Le seul reproche qu'on pourrait faire à ce spectacle, c'est de devenir sur la durée trop narratif et illustratif, de reprendre une histoire de l'évolution des espèce du larvaire à l'aquatique au rampant, en crabe vers l'araignée. Les variations se répétant et la richesse des images arrivant à saturation dans la tête du spectateur, l'attention faiblit et le fil de rompt.

jeudi 29 mai 2008

Lovefingers

Après Stockhausen, retour à la pop : Lovefingers est le titre d'une chanson des Silver Apples, qui reprend un certain imaginaire coloré proche de Helio Oiticica et développe ce principe de la musique manipulée par le DJ au travers des ondes sonores qui arrivent et malaxent / travaillent le cerveau de façon plastique.

Mellow is the yellow sun
Waving sunbeams in the air
Weaving golden spells that run
Magic fingers through my hair
Green the sea that unfolds waves
Salty carpets flung on land
Foamy fingers seek out caves
Where lovers lie upon the sand

Red the lips from which I sup
Rubies from the fleshy bowl
Fingers reach inside to cup
My heart and knead my love to soul
chanson à écouter en cliquant sur le titre de l'article



Et une reprise de cette image-signature, mes mains en train de scanner un livre, sans le livre.

lundi 19 mai 2008

Ghost Nets


Toujours en lien avec ce principe d'un espace d'écoute dilaté avec l'espace, je suis tombé sur cette pièce musicale de Stockhausen intitulée Helicopter String Quartet, avec les quatres musiciens éclatés dans le ciel, chacun dans un hélicopter en mouvement; le son des machines fait bien-sur partie de la composition.

Un lien vers Henry Brant qui vient de décédé, ce compositeur a formulé cette notion de musique spatialisée ou d'espace musical : "spatial music"



Une exposition de Sam Durant vue la même semaine à la galerie Praz Delavallade où est présentée une sculpture sonore de 2000 : Southern Rock Garden Beginningless / Endless Primordial Connection to a Floating World with Consciousness of Sheer Invisible Mass, 2000


Robert Morris, Voice (1973-74) sculpture sonore constituée de 14 boites recouvertes de feutre blanc, 2 magnétophones, 8 hauts-parleurs, 8 chaines hi-fi et 4 panneaux muraux.



La sculpture de Tony Smith, wandering rocks, installée dans le récent Olympic Sculpture Park à Seattle

Stockhausen dans un jardin Zen



Rob Fischer, bullrider's advice, 2006, parquet de gymnase



samedi 10 mai 2008

Skull Disco

Pour prolonger les réfléxions et connexions à partir du précédent post, sur l'espace mental dilaté ...









Tête désarticulée préparée par Philippe Potteau, mars 1853 photo Dominique Carré


En tapant pushing the walls dans google images pour créer un lien pour ce post, je suis renvoyé vers ce lien, coincidence merveilleuse avec les images de l'article précédent sur Skream où j'ai placé des oeuvres de Hélio Oiticica que je connais peu, sur une simple intuition.









jeudi 1 mai 2008

Skream au nouveau casino le 25 avril 2008

Un texte pour m'expliquer l'importance de cette soirée.

Skream joue du dubstep, majoritairement instrumental, entre laptop et platines. dans ses meilleurs moments il invente un espace sonore inédit pour moi.





Les rythmes et motifs propres à des styles qui furent successifs et antagonistes dans l'histoire de la pop électronique (house, techno, dub, hip hop) sont ici superposés et simultanés ! Ecoles et genres presque toujours séparés entre musiques noires : tendance hip hop R'n'B / et musiques blanches : dance et techno sont tramés entre eux. Ces résidus sont indifférents à leur origines, ils résonnent encore dans la tête comme de lointains échos du siècle passé mais entre les mains d'un DJ qui les traite comme des abstractions informatiques.






Il élargit ou approfondit le geste du DJ à savoir qu'il n'est plus seulement celui qui enchaine les disques (fonction de montage) ou celui qui les diffuse (fonction d'agrandir leur auditoire), il est désormais aussi celui qui écoute plus profondément et SIMULTANEMENT plusieurs sons, pistes (tracks), plusieurs disques en même temps. On peut facilement se laisser emporter dans une sorte d'hystérie de gesticulation ne sachant plus sur quel rythme danser.





C'est cette simultanéité dans l'écoute qui densifie la trame des rythmes mixés par Skream, rythmes caribéens, secs et clairs, parfois même bossa ou latino, basses techno, hi-hat de house, sample de larsens de guitare, synthés rave, breaks de hardcore à la Prodigy, mis en boucle et répétés comme trame de fond continue et frénétique. Supersposition de snares et drumpads issus du ragga et du dub, ambiences de jungle mais démontés et raréfiées, il déstructure la batterie en leur différents usages issus des musiques électros. Il hérite aussi de l'ambient, de la musique de film ou du trip-hop Bristolien tendance Third eye Fondation (sombre et angoissante à base de samples de vyniles qui craquent) pour des sons fantomatiques à peine perceptibles. Il intègre naturellement de la chip tune/ musique de jeu vidéo dans certains motifs et gimmicks de break beats. On est dans autre chose que la culture du sample et du collage virtuose à la DJ Shadow, qui reste finalement trop proche de la chanson et de l'art de l'arrangement sonore. Skream expose des squelettes de rythmes et des gimmicks de tous horizons : associés, dilatés, fragmentés, à peine esquissés ou mis en boucles qui transporte le danseur dans un non-lieu culturel. Des anciens styles musicaux fantomatiques, il ne reste que les structures et pas (ou peu) les sons : tous aplatis dans la mémoire digitale.





Skream construit un espace sonore dilaté : espace plus large et ample que celui du crescendo orgasmique, tribal et efficace de la techno classique. La tête et le corps du DJ sont l'antichambre de celle dans laquelle la foule danse et écoute. Il ne fait pas une musique nouvelle, le dubstep dont il est un chef de file atteint rarement cette complexité. La nouveauté est dans l'espace d'écoute qu'il ouvre et réalise, celui d'un jeu de mémoire et de computation, de coexistence de tant de gestes et d'incarnations musicales récentes. On peut entendre là qq chose de réellement nouveau qui commence en 2008.










Le défi reste bien sur de qualifier et de décrire cette espace d'écoute inouïe : du dub industriel ? Un terme qui pourrait aussi convenir à Plastikman (l'album consumed) mais cette fois-ci en plus dansant sans être moins méditatif. Pendant son set, face à la multiplicité des rythmes et aux vitesses de ces rythmes, je me suis rendu compte qu'on pouvait vraiment choisir sa propre vitesse de mouvement, danser à son porpore rythme dans la même foule. Il y a qq chose de Cagien là dedans, on danse ensemble sur les même sons mais pas sur le mêe tempo et donc en ne suivant pas le même klimax. On est dans une sorte de danse post-danse, on peut méditer et observer les structures évolutives ou simulténées ET/OU danser en même temps. La dépense d'énergie propre à la sortie en club devient donc plus solitaire et autonome, on ne lève pas les bras au son du même crescendo tous ensemble comme ca arrivait avec l'acid ou la transe.





On s'excite par plateaux et par niveaux montants ou descendants, sans linéarité. Skream se permettant même de longs breaks silencieux de 15 secondes qui ne sont ni des entre-deux ni des ratés, mais bien des plages ambient muettes avant la reprise du rythme précédemment interrompu, avec une boucle en plus qui fait monter ou bifurquer la frénésie. Sans début ni fin, des moments à voler pour soi-même, à se donner à partir de ce qu'il organise. On a pu d'ailleurs comparer son style avec les autres DJs qui lui ont succédé, jouant du ragga bourrin, sans vision temporelle (structure) d'ensemble et même défaillants techniquement.