mercredi 26 septembre 2012

Gerhard Richter Panorama 2012

Abdallah, 2010, peinture acrylique sous verre 32 x 32 cm

En oubliant donc la stature du bonhomme, sa réputation et la pression intellectuelle qui pèse sur nous en entrant dans l’expo, je me suis dit qu’on pouvait suivre, dans ce parcours plus ou moins chronologique que nous présentait le Centre Pompidou, l’apprentissage très lent, humble, un peu fastidieux même d’un très bon technicien qui arrive au bout de 40 ans d’activité à enfin donner du sens aux gestes qu’il a mis progressivement en place.
 
Betty, 1977

Ayant vu l’exposition deux fois, j’ai eu le sentiment au fond d’avoir affaire à un peintre virtuose qui sait faire du photo-réaliste et sait réciter les mythes intellectuels et légendes qui justifient ces images. Richter en effet aime plus que tout s’affilier à des traditions picturales et au passé, il sait bien représenter corps et paysages (assez peu ou pas du tout les objets – le créneau était déjà pris par Morandi ?) mais qui semble un peu perdu face à la modernité et face à l’obligation d’être contemporain. C’est à la fois son point fort : mêler les genres et gestes, au même moment dans sa carrière, plutôt que d’avoir des périodes figuratives PUIS abstraites, une forme de navigation libre dans les époques et genres, en bon post-moderne et c’est réconfortant ; mais c’est aussi son point faible : faire appel à la presse et photo d’actualité pour justifier la figuration, d’accord on en est presque tous là, mais on sent une énorme culpabilité face à l’image, face au dilemme de s’autoriser à faire de l’image sans être taxé de léger, pop, séducteur, etc dans les années 60. D’où le recours au gris et au flou, une belle idée, mais d’un ennui visuel considérable. Donc plutôt du coté des intelligents que des sensibles au début. Il m’a semblé se trouver dans le piège où se débattent un très grand nombre de nos contemporains : pas le droit au subjectif, au plaisir capricieux, au plaisir visuel, au beau, à l’humour, au corps, etc. à cause des mots d’ordre inconscients de l’anti-rétinien, du conceptuel qui doit tout justifier rationnellement, du médium qui doit s’auto réfléchir, d’une moralité extra artistique de l’art coupable d’être de l’art vis-à-vis des problèmes du monde, ... j’arrête là. Ce n'est que récemment qu'il semble s'être offert une vraie liberté.


Ca bascule un peu dans les années 70 avec l’apparition des nuages et les détails de peinture classique, début d’une longue joute avec l’histoire de son art. Toujours floues et figuratives ses peintures sont désormais colorées et simultanément abstraites ou décalées, images d’images sur un autre plan qu’il semble découvrir et inventer. N’oublions pas que les années 70 marquent le triomphe de la peinture hyper-réaliste et autres français virtuoses (Aillaud, Hucleux, Raffray, Schlosser) ainsi que l’école des Becher (véritables historiographes et monumentalistes de l’Europe du XX siècle) que le terrain concurrentiel était bien encombré, que sa petite différence (le flou) le situait sur l’échiquier mais n’aurait pas fait de lui ce qu’il est devenu sans son passage à ses abstractions colorées.



Cloud III, 1970

Annonciation d 'après Titien, 1973

Puis arrivent donc ces abstractions raclées qui sont devenus sa signature (il faut d’ailleurs absolument réfléchir sur ce truc très 20éme siècle du gimmick-stratégie marchande-effet de signature). C’est d’une indéniable séduction, la variété ainsi produite fournit à chaque spectateur sa petite préférence. J’aime l’effet visuel de vitesse et de mouvement, l’imagination des gestes et la chronologie des couches et sous-couches qu’on scrute, j’aime moins l’analogie optique à peu près systématique avec des murs décrépis ou des paysages. Ca m’intrigue néanmoins comme symptôme, comme s’il avait voulu explorer les surfaces et la matière des Van Gogh, de la même manière qu’il a agrandit des détails de peintures classiques. Cette fiction picturale de faire des peintures qui soient des détails d’autres peintures me semble très belle, humble et stimulante, comme une quête génétique des origines du mythe de la peinture pour générer, dans son propre corps des gestes anciens … avec ses Abstraktes Bild/Images Abstraites a crée des icônes de l’abstraction contemporaine, qui ont pris sens avec la présence de l’imprimante informatique et de l’écran TV (l’affichage par balayage du tube cathodique) dans nos vies. A voir les vidéos de leur fabrication, plus intéressantes que le résultat , cette façon découvrir la peinture, de s'immerger dedans ou de s'y suspendre. Fascinant!
 
Atlas, page 770, 2006 (photo, vues de Sils Maria)

Ohne Titel (9.4.08) 2008 émail sur papier imprimé A4

Moment phare de l’expo : le portrait si médiatisé de Betty (que j’ai vu sur internet parfois bêtement remis à la vertical !), un fragment d’une image, du figuratif direct, éhonté, simple et tranquille, libéré du temps, comme s’il avait enlevé son costume du dimanche de peintre contemporain pour être simplement celui qui a envie de conserver une image de quelqu’un qu’il aime. Il assume la cruauté du portrait en le présentant comme une tête coupée et basculée telle une nature morte (par la présence du plateau-table en fond). Tout à coup, c’est la perversité d’un Balthus et la filiation allemande des objectivistes tels que Dix et Schad qui vient à l’esprit. On regarde, il se passe plein de choses, il (le tableau) elle (le modèle ? la peinture ?) nous regardent. Et ça fait plaisir !
 

 

Etude pour Nuages 1970 100 x 80 cm

La série tant commentée sur Baader Meinhof (1988) m’ennuie au plus au point, je lis trop bien le communiqué de presse et toute l’intelligence en jeu mais je n’ai rien à regarder vraiment, là sous mes yeux. C’est là qu’on est dans le plus mauvais du jeu contemporain, trouver le sujet qui fera un effet de communication sur le marché et parmi les critiques, mais bien sur, il faut contrebalancer cette tentation putassière par le morbide, le bien-pensant sur les médias et le regard objectif devant la cruauté des faits (la série est peinte 10 ans après les faits). Au final une sorte de peinture d’histoire en décalé et en rivalité avec les médias qui font peinture d’histoire bien plus vite et fortement que la peinture, un défi donc de se mesurer au Radeau de la Méduse ou au Marat de David …


De même l’effort d’articuler les séries et gestes, de soulever dans l’espace des questions de strates, de couches multiples via les panneaux de verre est louable, intelligent, mais vite ennuyeux. En tant que spectateur, on décrypte et on comprend mais rien n’est offert. C’est pédagogique, on sent qu’au fil du temps, Richter explore progressivement tous les sous entendus contenus dans sa démarche inaugurale : l’image figurative sous la matière peinte, l’écran-voile flou lui-même, les sous-couches (belle série des Snow-white), le mouvement de strie latérale qui crée le flou, le fragment (par cadrage de coupure de presse ou détail de tableaux) et donc le polyptique, la série (rapport entre mouvement /geste et support), les nuanciers anguleux en complément des nuages flous (beau face à face d’accrochage ici) auxquels il manque la photo seule, constitutive de son Atlas, répertoire iconographique, et ses dessins (la spéculation formelle à partir de cet Atlas). Donc après l’ouverture et la construction de ce manuel pratique pour voir et comprendre son travail, on attend que ses outils et opérations trouvent une application, un cœur, une cristalisation pertinente.


Snow white 2009, 102 x 102 cm

Overpainted photo (18.04.2005), 2005 peinture sur photo 10 x 15 cm

Celle-ci arrive pour moi avec les peintures sous verre: telle la série Sindbad, 2008 ou Aladin présentée ici dans la dernière salle, sur le dernier mur : il assume la joie de la couleur et de la matière tout en poursuivant sa froide mise à distance : par le verre, qui devient ici le support même de sa peinture. Jouissive, composée, sculpturale (plate mais tout de même), joueuse, riche en variations, cette série rejoint là une « modernité classique ». Il y synthétise absolument toutes ses recherches sur la présence/distance de l’image, le paradoxe entre épaisseur et planéité, l’effet-image de l’abstraction et fusionne la photo (l’effet photo-diasec produit par le verre) avec le pictural pur et abstrait. On ne sait plus si on est devant, ou derrière, ou dans la peinture (comme une coupe géologique). On y voit l’accomplissement d’un peintre doué qui a trouvé progressivement un terrain à lui, son coming-out pictural où CoBra et de Kooning sortent enfin de son placard personnel.

Dessin sans titre, 1985, graphite sur papier. 24 x 16 cm

Sindbad, 2008, élément de la série, peinture sous verre

Anti wagner, crayon sur papier, 1982




Très gros absents de cette exposition, les séries (on aurait aimé une partie bien-sur) récentes (du moins publiquement) des Overpainted pictures, photos surpeintes-retouchées (j’ignore la traduction officielle) déjà évoquée sur ce site ainsi que l’Atlas (ne serait-ce qu’un aperçu) et aussi ses dessins, que je n’ai jamais vus hors de son site web. Là, aussi se joue un travail classique et manuel des plus doux, intéressant, expérimental et libre. Pour les Overpainted pictures, je renvoie aussi à la présentation du musée de Genève. Cette rencontre du picturale et du photographique, du manuel et du mécanique, du hasard et de la programmation, sur le terrain commun du pigment, de la surface-plan, soulève des questions de réglages (le net-flou) et de dosages (la quantité d’encre photo Vs la quantité et répartition des pigments de peintre) essentielles et productives pour notre rapport présent à l’image. Cette absence renforce le sentiment de voir une expo guindée, d’un artiste officiel, qui a mis son costume du dimanche, intellectuellement cela s’entend, qui présente une peinture correcte, certifiée sérieuse, grand format où le plaisir ne serait jamais gratuit (quelle honte !!) où la peinture se justifie par autre chose qu’elle-même. Ce que justement la dernière série présentée ici nie avec brio. L'expo laisse un gout triste et l'impression d'une énorme énergie dépensée pour pas grand chose, la faute sans doute à un accrochage trop partiel, serré et radin à la fois. Alors qu'à revoir son site web et ses différentes séries et productions, on se rend compte qu'un tout autre récit potentiel de sa pratique et de son évolution est possible. Donc un travail à revoir, ailleurs, mieux, autrement... (NB : les oeuvres de ce post n'étaient sont pas forcément dans l'expo)

3 éléments de la série Sindbad, 2008

Donc on attend maintenant une rétrospective Sigmar Polke, comme il est mort, je suppose qu’il y a droit, pour comparer un proche, en terme de géographie et de génération, et voir un rapport beaucoup plus libre et ouvert à l’image, au pictural, à l’histoire, au pop, à la technologie (bref à la représentation tout court) entre autres.

Navigation (bleu vert)

Richard Tuttle, Sail, 1964. bois peint (28 x 80 x 7 cm)


Richard Tuttle, walking on air, 2008 (élément de la série)

Richard Misrach, On the beach (in water), 2001 série de photographies

Paul Thek,  untitled (seascape), 1971 peinture sur papier journal

Richard Tuttle, 20 pearls #2, 2003 acrylique sur bois, 18.4 x 26 x 1.9 cm

Seapony, pochette du 45t dreaming

Barbara Kasten,  photogenic painting #31, 1975 photographie

Lemonade,  diver, pochette du LP, 2012

James Hyde, at hand, peinture sur photo photographie et porcelaine,  2012

Maxime Thieffine, provisoirement sans titre, 2012

Jean Arp, tête paysage, 1924

Maxime Thieffine, capture d'écrans de Journal 4 Pistes, 2004

Ellsworth Kelly, green curves, 1997. 203 x 174 cm

Richard Tuttle,  20 pearls #14, 2003

Bill Bollinger,  sans titre, 1968, peinture en spray sur papier 45 x 62 cm

Mireille Blanc, Marine, 2011. huile sur toile 32 x 41 cm

Autre Ne Veut, pochette de Body EP, 2011

James Hyde,  trip, 2002, nylon

Julia Dault, sans titre 6 (green & white) 2008 corde nylon et formica


Maxime THIEFFINE, détail de Ecran Total, maison flottante du CNEAI, 2010

Toujours de nouvelles trouvailles au hasard de navigations informatiques et des échos passés