dimanche 31 août 2014

Another Artschwager

Portrait zero, 1961, wood, screws, rope

baby, 1962, acrylic on celotex in aluminium frame, 125 x 105 cm

 
L'an passé (2013) cet artiste est décédé et, honnêtement, ce fut à ma grande indifférence. Ses sculptures en bois et formica me semblent justes sympathiques mais lourdes et pseudo kitsch, ses Blps, les pilules plates exposées/dispersées dans l'espace urbain ou muséal (la blague devenu monument absurde) me fatiguent et représentent pour moi le pire de ce que peut être l'art contemporain. C'est récemment en feuilletant le catalogue de l'exposition au Nouveau Musée National de Monaco, que j'ai changé mon regard en découvrant une toute autre facette de cet artiste américain, dont nous ne connaissons finalement que les “tubes”, qui je crois, sont des malentendus, heureux pour sa carrière économique, qui l'ont fait croiser les avant-gardes et fait jouer parfois au malin, alors qu'il me semble être finalement un humble peintre de la texture du quotidien, comme les hyper-réalistes ou Stephen Shore, Tatline ou Edouard Vuillard.



Low Overhead, 1985

untitled (potatoes 5), 1997, acrylic on celotex, wood frame, 134 x 81 x 6 cm

 
A mesure que le XXeme siècle s'éloigne, on voit mieux les oeuvres des individus alors que les combats et manifestes idéologiques disparaissent et s'auto-ridiculisent. Ainsi, comme pour Lucio Fontana, on peut relativiser des figures trop vénérées et néanmoins explorer leur singularité de goût et d'imaginaire, dans leur irrégularité et leur non conformisme par rapport aux idéologies esthétiques dominantes. Comme chez Stella ou Guston (pas si éloigné de Artschwager), deux traitres au dogme moderniste, c'est ce que j'aimerai partager ici avec une sélection personnelle d'oeuvres graphiques et picturales d'Artschwager. Je précise qu'elle datent autant des années 60 que des dernières années, et ne correspondent donc pas à une periode d'immaturité ou de régression.
Bowl of peaches on glass table, acrylic on celotex, metal frame, 1973, 49 x 63 cm


 
RA est né en 1923 d'une mère juive ukrainienne et d'un père allemand, botaniste, qui a travaillé sur la pomme de terre (ceci aura un sens en regardant les images), il a grandi dans l'état du Nouveau Mexique (je le mentionne car je remarque d'innombrables artistes que j'apprécie qui sont nés, vivent, sont passés ou sont morts dans cet état, ce qui devrait donner lieu à un post sur ce blog bientôt). Il a commencé l'art tardivement après une carrière de dessinateur industriel et de photographe professionnel, avec sa première expo à 42 ans en 1965, entre minimal et pop.

Il a beaucoup dessiné et peint sur des panneaux de fibres d'isolation (sur celotex, voir le visuel à la fin), ce choix du support lié à la construction amène un rapport à l'espace domestique (il vénère Vuillard, comme moi) ainsi qu'une fibre et texture qui apparaissent dans le tracé et la matière picturale. Matière brillante, matelassée, souple et compacte, fibreuse, volumineuse, l'image possède donc toujours déjà un corps. Ses cadres, singuliers, me fascinent, en métal (comme un velux dans une toiture, par rapport au celotex) ou en bois, peint, biseautés, dénivelés, ses seuils prolongent l'image dans l'espace physique du spectateur.

light bulbs, 2007, charcoal, pastel, ink on handmade paper, 132,x,191,cm

untitled, 1962,acrylic on canvas, 115 x 155 cm

horizon with orange sky, 2007, pastel on paper, 63 x 96 cm


Son regard explore et plonge, il s'immerge dans la texture biochimique et psychique des objets et de leur matière, que ce soit dans la fibre alimentaire (les pommes de terre), les poils et cheveux, les couches géologiques ou les ondes des veines du bois. Il explose aussi contre le mur des chaises et autres formes de la série Splatter pour en faire jaillir leur jus intime et leur faire cracher leur entrailles atomiques. Sa première oeuvre inventoriée est un autoportrait en pendu, réalisé à partir de chutes de bois, de visses et d'une corde, comme un contre-relief de Tatline ou un assemblage cubiste.



Chair/chair, 1987-90, red oak, formica, steel, cow hide

white table, 1988, acrylic on celotex, formica, wood frame

Splatter Chair, Table, Mirror, 2005, formica & acrylic on wood


Puis en regardant cette sélection d'oeuvres, on remarque plusieurs choses : les rapports du haut et du bas, en terme de mise en espace et de sujet : portrait suspendu et enfant au sol ou table vues en plongée, ce qui se répète ensuite dans la logique de ses oeuvres, au mur ET au sol ou passant de l'un à l'autre quand il jette et éclate les chaises ou formes au mur, dans les angles, quand il confond le point de vue sur le paysage (ses pastels), sensé être de loin en surplomb et qui ressemble à une coupe géologique, donc vue du dessous ou même ce dessus de porte trop bas (Low overhead) qui oblige donc à se courber, à abaisser ce qui domine.

Les rapports au liquide, à l'oralité et à la fluidité, et plus globalement à la logique de mâchage/écrabouillage et de transformation sont omni-présents. On connait ses meubles et retables assez morbides mais ils penchent aussi vers le psychédélisme et le morphing, un mouvement vivant de la matière. Son portrait de bébé tenant un biberon de lait est frappant, dans l'association du sol (bois de parquet) au blanc du lait qu'on retrouve en divers oeuvres (patates qui s'écoulent, chaises tables et miroirs qui ont fondu en éclatant, dessus de porte en pseudo marbre qui glisse). Son gout d'ailleurs des couches compressées par le choix de ses matériaux déjà industriellement machés/cuits/travaillés en fait l'opposé de l'arte povera, et pourrait permettre de le placer finalement entre Paul Thek, Kenneth Price et Haim Steinbach.


desert growth, 2005, acrylic, pastel, fiber panel on soundboard

journal 2, 1991, formica & acrylique sur bois

Watermelon, 2008, pastel gras sur papier

Landscape with pond, 2011, pastel

Untitled, 1969, 71x71x16cm, rubberised hair


self portrait, 2003, acrylic on fiber panel, metal frame, 61x63cm

exemple de Celotex

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