samedi 27 décembre 2008

L'homme exposé

Notes après la visite de l'exposition : L'homme exposé, au Musée de l'Homme à Paris (Trocadéro).
Dès l'entrée, la scénographie, très visible et même omniprésente, souligne l'enjeu du regard à porter sur ce qui est exposé ensuite. L'espace est empli de caisses en bois brut, empilées, entr'ouvertes, dé-scéllées, fendues en deux. On comprend de suite qu'il s'agit de renvoyer le spectateur à l'importation et au transport des objets exposés, sous l'angle du colonialisme au sens très large : ramener de l'ailleurs ici ou ramener du lointain (dans le temps) dans le présent.

Mais il ne s'agit pas que de cela, car l'exposition démarre sur la question suivante : les découvertes scientifiques, géologiques et éthnographiques renforcent-elles les mythes, croyances et fantasmes ? Aussi bien sur le plan social et sur ce qui définit l'autre, celui qui ne ferait pas partie du groupe social ? Ou bien cela transforme-t-il les récits fondateurs de ceux qui font les découvertes ?


La partie gauche de la première longue salle de l'exposition montre comment, par exemple, la décourte d' un crane d'éléphant, avec un trou en son centre renforce la croyance dans l'existence mythologique des cyclopes. La partie droite, montre comment au contraire, se fonde progressivement une science, la science des Lumières puis l'anthropologie ainsi que la notion de primate, d'homme préhistorique qui remplace les notions d'"homme antédiluvien", c'est à dire d'avant le déluge et l'Arche de Noé. Ensuite donc, d'un côté, les monstres, animaux inconnus ou difformités humaines (des squelettes de siamois expliquent l'origine de ce terme : 2 bébés nés collés du Siam populariés au 18éme siècle) ou même des silex taillés jadis retrouvés et attribués à la foudre (car il été inconcevable que des pierres si anciennes soient faites de main d'homme). A cela s'oppose l'élargissement progressif de ce que serait ou aurait été l'homme : un Néandertalien, jusqu'à la théorie de l'évolution.

De là, on passe à l'exposition de l'autre, du monstre de foire au corps des populations colonisés et dites exotiques. La Vénus Hottentote (un moulage réaliste) est ici exposée revétue et protégée des regards derrière une vitre opaque qui ne laisse voir que son visage les yeux clos. Son nom lui est rendu : Saartje Baartman, elle est exposée dans une caisse de transport l'assimilant à une marchandise, sa biographie succinte nous est donné. L'information sur son retour à / en Afrique du Sud en 2002 accompagnée de funérailles nationales. Ou comment penser en terme d'exposition des questions de politiquement correct et de rapport à l'histoire des regards posés sur un objet.

L'exposition pense aussi à nous montrer des représentations des Européens par les habitants de contrées lontaines. Voir comment nous sommes aussi l'autre des autres. Dans une deuxième section, les mêmes caisses de transports sont peintes en blanc pour parler de l'exposition du "corps autre", du noir surtout, via les sculptures de Charles Cordier, des bustes sculptés accompagné de moulages anthropologiques : des têtes de toutes éthnies réalisés post mortem assez courament au XIXeme siècle. Fascinant spectacle à méditer sur les origines de nos clichés sur l'étranger.
sculptures de Charles Cordier


Pour finir, nous passons dans un espace très vaste de plafond organisé comme un entrepôt de marchandises (pensez à la partie avant les caisses chez Ikea), fait de vastes structures métalliques avec onglets nominatifs par sections. L'homme est ici décortiqué par comportements : face à la mort, face à l'usage de ses 5 sens, puis selon les usages face à la maladie, l'héridité, les mesures, les normalités et corrections anatomiques, allant du piercing à la phrénologie (étude des bosses du crâne) en passant par les habits talismaniques et protections contre les maladies, exposés comme aux puces ou dans des boites Ikea.

Ce parti pris de "mettre en boîte" les coutumes et représentations que les hommes se font à eux-même, mais aussi de l'autre est très fort. Il permet de poser un regard étonné sur des partitions de Bartok (pour sa généalogie de collectionneur de mélodies traditionnelles), que l'on perçoit alors comme un mode très "étrange " de notation des sons, du besoin de noter de ce que l'on entend. Le familier actuel, le normal est ici pris dans le même dispositif muséal que l'ancien et l'exotique. L'exposition présente, en quelque sorte, les affaires et effets personnels d'un riche collectionneur fanstasque et maniaque sur le point de déménager. Un personnage qui voudrait tout conserver de sa famille présente et passée. Il s'agit je pense, selon les désirs des commissaires (Zeev Gourarier) et scénographes (Laurence Falzon, Denis Pegaz-Blanc) de montrer une vaste entreprise de construction, un chantier continu et à suivre, dont la clé de lecture serait le casque jaune de chantier exposé sous verre, avec malice et humour.

Détail de la salle des moulages éthnographiques : des archétypes et des individus particuliers à la fois : un effet figurant de cinéma, on voit une personne unique mais la façon dont elle apparait, le manque d'information sur elle et le manque de parole de sa part en fait un figurant, une image générique d'un groupe vague et mal défini.

Le dispositif scénographique souligne donc notre manie d'objectiver et d'ajouter des objets à nos corps, à nos sens, à nos morts; à partir d'une vision d'une humanité unifiée, ne faisant plus qu'une (ce qui se discute! ) ... Mais ici, l'objet n'est pas fétichisé, ni magnifié, ce sont plutot les fonctions qui sont exposées avec des objets et images pour les illustrer. D'où, bien-sur, l'abondance de textes, de petits cartels ou de grands panneaux, très nécessaires au début puis moins essentiels une fois que l'on a compris le principe. L'échelle de l'espace et de ce dispositif produit un effet de recul et de retrait, on peut naviguer là-dedans, comme dans une vaste mémoire. Un peu à la façon dont Steve Mc Queen à L'ARC il y a qq. annés projetait les images qui résument l'humanité envoyés dans l'espace par la NASA pour d'éventuels contacts. Le diaporama était projeté dans un très long espace sombre qui nous permettait de nous regarder depuis très loin, comme si l'on se souvenait de choses très anciennes et disparues, d'un savoir non valide, ou du moins potentiellement autre.



Ce qui a pour effet de suggérer que ça pourrait être autrement, différent, que l'homme peut et va changer, mais qu'on hérite d'un peu tout ça. On peut observer l'humanité comme un magasin ou un étalage d'hommes possibles et donc en inventer d'autres... La notion de personnages m'est apparue, l'humanité serait faite de et par des masques humains, d'un devenir humain réalisé de plein de façons différentes et donc relatives. Pensons à Jonathan Meese ...

J'ai beaucoup aimé les sous-titres ajoutés aux objets sous forme de questions (sans donner les réponses), le principe d'une expo avec plusieurs points de vues antagonistes mis en scène. J'ai aimé l'usage de ces caisses et panneaux de bois comme socles, comme supports d'information, comme cartels, comme supports de reproductions de documents en sérigraphie produites spécialement (gravures agrandies sur panneaux de bois). J'ai aimé l'exposition de documents comparatifs. J'ai aimé voir du laid et du glauque (momies, diformités) qui peuvent surprendre les familles mais sont aussi visibles et désignés comme objets difficiles à classer. C'est donc un musée qui s'auto-expose, qui expose ses façons de fonctionner, les façons dont notre imaginaire de l'identité et de l'autre fonctionne.

Céphalomètre de Dumoutier, 1842


Une exposition A VOIR malheureusement sans publicité ni rumeur, pourtant essentielle, agréable, pédagogique (1er degré) et critique (2éme degré) qui se regarde aussi en se souvenant des expositions surréalistes : posant à la fois un regard sur des objets, sur des usages d'objets et sur comment se produisent contextuellement nos rapports aux objets. Merci pour cette exposition !

mannequin chinois d'acupuncture, collection du musée de l'homme


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