dimanche 12 avril 2009

Tino Sehgal @ Marian Goodman, Paris

Retour sur une expo marquante vue en février dernier, le temps d'écrire dessus - attention long texte sans images ...


Les oeuvres de Tino Sehgal sont des oeuvres que l'on raconte et n'ont pas besoin de photos - elles sont d'ailleurs interdites et non diffusées mais c'est presque une façon d'éviter aux journalistes et aux critiques de mal faire leur travail, c'est pour leur bien dira-t-on.

"This Situation" montrée en février/mars 2009 chez Marian Goodman à Paris a déjà été représentée à New York en 2007 lors de sa première expo chez Marian Goodman. Je ne parlerai pas du fait que ca se vende (cher) : ça ne me choque pas et ça ne m'intéresse pas, comme pour tout autre travail artistique d'ailleurs. Ce qui est par contre important, c'est l'intervention d'acteurs ou de personnes payées pour performer, ce qui ramène l'économie de l'intermittence du spectacle dans celle de l'art, deux mondes qui s'ignorent très souvent.
Les situations chorégrapheis et conçues par Tino Sehgal ne comportent pas d'instructions écrites ni de documents témoins. son art est une transaction orale faite avec le collectionneur, galeriste et les participants.

Donc, pour "This Situation", six personnes sont enfermées et payées dans une galerie d'art, sous l'oeil de spectateurs réels ou potentiels (les comédiens se relaient régulièrement et sont remplacés, il y a des pauses et on respecte le code du travail). Ce qui situe donc le travail dans une comparaison directe avec la télé-réalité et le principe du Loft. Et ce n'est pas simplement un clin d'oeil, mais un paradigme qui permet d'apprécier et de mieux percevoir cette oeuvre justement.

Il s'agit donc pour nous spectateurs d'assister à une discussion, et d'entrer dans une situation puisque les comédiens se tournent et s'adressent à nous et disent "Welcome in this situation" lorsque l'on entre dans le lieu. Nous ne sommes donc pas voyeurs comme devant le Loft, les personnages nous parlent et nous regardent, ils sont dans le même espace puisque l'on entre dans l'oeuvre et qu'on ne reste pas devant. On assiste donc à une parole publique. Des débats philosophiques même. La situation (pas la discussion) est tellement intense et singulière que je ne me souviens en rien du contenu des débats, tellement je fus séduit et captivé par la présence des corps, par l'existence de cette événement. On se demande ce qu'on fait là, qui sont ces acteurs, s'ils sont acteurs (ils n'en ont pas l'air), C'est par leur chorégraphie semblable à des exercvices de Tai-Chi qu'on les ditingue de la foule des spestateurs, blottis contre les murs, ne sachant trop où regarder ni où focaliser leur attention. Ainsi l'écho avec la TV-réalité sert à montrer qu'ici on assiste à un miracle, de la parole échangée véritablement, une qualité de parole ! Des personnes parlent en public, parlent bien, s'écoutent, se répondent, nuancent, ne sont pas d'accord ou font bifurquer la discussion. Se réalise donc ici un potentiel de la Tv réalité, celui qui aurait lieu si on avait casté les particpants sur leur connaissance et leur qualité d'orateurs.

Il faut donc aussi surtout penser à ce que l'on voit des débats public, ceux de la Tv ou de quelques colloques, assemblées publiques actuelless, totalement imprégnées par le modèle médiatique, qui consiste à parler vite avant de se faire couper ou enlever le micro, qui csnsiste à jouer un rôle prédéteminé (cf. le casting des français pour les séries de débats pré-électoraux en 2007). Chacun est sommé d'incarner des valeurs ou des idées comme un slogan et un T-shirt : la victime, le réac, l'intello, l'exclu, le riche /le pauvre , etc ... Que ce soit Chez Delarue ou dans tout type de plateaux avec échantillonnage de la population. Pendant la performance de Sehgal, on croit vraiment être devant une émission télé des années 70, comme on peut s'en souvenir ou voir parfois en archives à la TV (type "Grand Echiquier"). On a le temps, on écoute, il n'y a pas de coupure de pub ou de pauses musicales (comme souvent à la radio). On assiste à une utopie ou à une archive de ce qu'on dut être les débats des années 60 et 70, des assemblés générales, des discussions autour de Lacan ou des rencontres intello /ouvriers par exemple (je fantasme sans doute ?). Bien sur, ici pas d'enguelades et d'interjections, ce serait trop artificiel et spectaculaire justement, simulé donc.

On voit donc des corps singuliers de différents ages et genres, des corps d'intellectuels qui manient bien la parole et les idées, à l'aise en public, mais pas costumés (je suppose qu'il s'agit de leur propres vétements). Qu'ils soient typiquement parisiens universitaires n'est pas un problème, c'est même plutot honnète par rapports aux intentions de l'artiste. Ils ne jouent pas aux intello, ils en sont. Et c'est là que c'est généreux, c'est de permettre d'assister à leur discussion, de voir comment ils s'adressent les uns aux autres. On réalise, par ce coté décalé, gentil, intelligent, noble même, que l'on n'entend jamais des gens parlé ainsi. Que le cinéma aussi à arrêter ça (Bunuel, Rohmer, Rouch, Eustache ont su écrire et filmer cela). Il y a une certaine aristocratie dans cette démarche. Une aristocratie pourtant essentielle à la démocratie si on ne veut pas tomber dans la démogogie populiste et toujours fasciste finalement des débats télé.

On se rend compte que l'espace publique et donc médiatique est cadenassé, empéché par la vitesse, l'émotion, la synthèse, la compression et la simplification : tout ce qui caractérise la fiction hollywoodienne, qui a totalement infusé les débats TV/radios, la parole politique ou celle des victimes ou des "vrais gens". On se rend compte donc ici dans une galerie d'art que la parole a disparu de nos enviornnements et de nos têtes, la parole échangée en direct, pas celle déposée dans des objets (d'art) et recrée en solitaire par le spectateur d'art. L'art de Sehgal est une sauvegarde, comme un fossile géologique d'un potentiel annihilé. Le cube blanc de l'art contemporain devient comme le lieu d'une secte, ultra minoritaire (comme les vieux qui lisent des livres dans "Soleil Vert"), qui pratique une activité humaine disparue, la conversation intellectuelle à plusieurs (différent de la conversation à deux dans un café ou dans un lit). Sehgal écrit, planifie, organise bien sur ! Il y a du complot et du calcul (dans quelle mesure ? Je l'ignore) mais comme dans toute mise en scène de film, comme chez John Cage, c'est pour offrir de la liberté et agrandir le potentiel de mouvement qu'il faut penser des stratégies. Il déplace l'écriture de Cage depuis les problèmes de la musique, de la composition, du jeu, de l'interpétation vers du matériel humain, à la fois spécifique à la situation : "étre dans un lieu d'exposition" qu'il enchevêtre à des enjeux plus larges liés au relationnel et à la parole, à l'échange par le corps ou par les mots.

Là où la téléréalité tente à tout prix de planifier des évenements, de sérialiser de l'unique (loft story renvoyait à love story : on attendait tous de voir apparaître l'amour en direct), Sehgal rend à la notion d'événement toute sa valeur et prend aussi le risque du creux, du mou, de l'abscond, du gentil et du ringard. Ce qui s'échange donc et se transmet en live : c'est là que réside l'art immatériel de Sehgal, la valeur marchande de son travail. Il ne vend pas des pièces de théâtre mais la possibilité même que le théâtre (au sens large) advienne. C'est ENORME !

Un grand bravo donc à cet artiste qui exerce véritablement un art essentiel et important, très simple même, comme des gags Fluxus mais sans la dérision et l'ironie de Fluxus. Le travail de Sehgal refonde l'idée même de production et d'événement artistique. C'est pas rien et il faut savoir apprécier ce type d'événement historique. Et à Eric Troncy (le 06/02/2009 sur France Culture) qui lui reproche un manque de générosité (pas de photos, pas de communiqué de presse, des assistants de galerie lui a refusé des explications !!), on peut lui rétorquer que c'est justement tout le contraire, l'oeuvre n'est pas synthétisable, elle est racontable, analysable etc mais on ne peut pas faire l'éconoomie de l'expérience, on ne peut pas faire un tour vite fait, prendre le dossier de presse pour chez soi puis se refaire le truc dans sa tête plus tard, comme font les professionnels pressés. Le temps et l'espace, et les corps qui le partagent existent ENCORE ! Qu'on le veuille ou non.

1 commentaire:

joachim montessuis a dit…

eric troncy...toujours en retard de 3 bus avec son arrogance, tout en croyant l'inverse.... on croit rêver...