jeudi 2 avril 2009

lnformations suspendues dans le Vide


Donc, des salles vides dans les collections du musée d'art moderne et contemporain au Centre Pompidou. Il s'agit d'un musée, donc ce que l'on voit est un témoignage historique : ces expos ont eu lieu et sont ici reconstituées ou plutôt "rejouées". Des textes muraux placés en hauteur nous donnent les informations nécessaires. Une élévation du texte qui produit de l’aura et anoblit - on est toujours plus petit/en dessous des intentions de l’artiste. Mais au delà de ces étranges restes signalétiques bizarres, il fallait vraiment faire l'expérience de se promener dans ces salles auxquels j’associe, comme chacun, des souvenirs particuliers : la salle du fond à gauche souvent associée aux maquettes d'architecture, ou le souvenir de la salle des sculptures de Jan Arp de l'autre coté, etc. Souvenirs également d'une salle consacrée à Absalon il y a quelques années, ici, bien sur, vide.


Donc je me promène seul. En moi, des tas de discours semblent s’agglomérer alors que le regard croisé avec d'autres spectateurs rares et isolés, en couple, en famille chassent ces mêmes discours qui naissent en moi. On oscille toujours entre : oui il n'y a rien, c'est n'importe quoi (le regard des autres) et bien sûr que non il y a quelque chose. Il y a nous, moi, l'espace, la lumière, l'architecture, les textures des murs, des variations de blancs, la visibilité des coups de pinceaux qui datent de différents accrochages ou remises en état, l'odeur du musée, sa réalité matérielle.
On peut clairement percevoir l'énergie des espaces, la succession des salels entre elles, leurs différences de tonalité même vides, leurs configurations et le rapport à l'extérieur (porte des allées incendies, les cotés vitrés) . On ressent partout la difficulté à se placer dans l'espace, la difficulté à trouver sa vitesse de marche et de déambulation : le critère "oeuvre" habituel n'est plus là, mais est-ce d'ailleurs vraiment LE critère. Ilfaut admettre que l'on reste aprfois peu de temps devant uen oeuvre à cause de conditions extérieures à l'oeuvre, un spectateur trop proche à coté, l'envie d'uriner, une autre oeuvre qui nous appelle en vision périphérique ... Combien de temps accorder à chaque salle ? Toutes ces questions sont JUSTEMENT l'occasion de se souvenir de ce que nous ont appris les artistes, les Buren, Verjux, les minimalistes, Ugo Rondinone, Picabia et Duchamp, John Cage, etc ... Chaque spectateur doit donc s'accompagner de son panthéon personnel ou de ses compagnons intellectuels quotidiens, pour ici vérifier leur pertinence. Là, en direct, en présence du vide, se trouve convoqué tout ce qui fonde notre attrait, amour, lien personnel à l'art et surtout à l'EXPERIENCE de l'art.






Dans ces salles, à ce moment, tout ne tient qu'à vous, soit vous décider qu'il n'y a rien, soit vous devez admettre, oui ADMETTRE et lâcher prise un peu pour sentir en vous le bénéfice de toutes les expos que vous avez vues avant. C'est un degré zéro, une révision (au sens scolaire mais aussi automobile) de la matière et des conditions qui font l'expérience de l'objet et du moment de la rencontre avec l'objet d'art quel qu’il soit. Voir ce qui permet de voir.

Bien sur, cette matière n'est pas neutre, il y a des livres et des tas d'œuvres sur l'idéologie du Cube Blanc : l’hygiénisme de la vision que cela induit, l'évacuation et l'éducation du corps qu'il a produit, la séparation d'avec le monde environnant, etc... Il faut passer du temps ici, car ce vide c'est surtout un DON d'espace : offrir un espace et du potentiel, des espaces libres que l’on n'a pas chez soi (je vis dans 20m2), que l'on a nulle part, ni dans un parc ni dans la rue.



Disserter sur les gestes des artistes qui ont produit ses expositions vides, c'est encore autre chose, de la référence, de l'histoire, des gestes artistiques, des jeux de contextes, des intentions intéressantes OK, mais moins que l'expérience qu'on peut en faire. Ca ne m'intéresse pas d'attribuer cela à des noms, car c'est ici une occasion qui nous sort de l'histoire de l'art pour nous situer NOTRE histoire propre, celle de spectateurs d'oeuvres à Paris au début du XXeme siècle. Moment propice donc pour tester ici son attachement à l'art, et plus précisément sur le cadre de l'art, son cadre de vision, ce qui en permet l'expérience dans notre culture. Moment propice, quand justement, on ne parle que du marché et des prix d'objets à vendre. Propice quand on parle de crise, quand on a peur de le voir disparaître (moins d'argent pour les expos, les institutions, etc...). Exactement comme Fahrenheit 451 de Bradbury, quand on brûle les livres, il faut alors les apprendre par cœur, les porter en soi, leur faire une place en soi, dans la mémoire et la parole, dans le corps qui devra ensuite les transmettre et les diffuser. Ici c'est exactement pareil. Il faudrait faire des visites guidées de cette expo. des ateliers-discussions sur la part des œuvres que l'on porte en soi, en chacun de nous.




Godard a dit de façon provocante, que si le Louvre brûlait, cela impliquerait simplement dire qu'il faudrait refaire les œuvres qui s'y trouvait ! Magnifique cadeau fait à l'humanité. Moins dramatique et pompeux qu'un Parmiggiani, cette expo du Vide organisée par un musée est, je pense, très osée. C'est une affirmation osée face aux détracteurs permanents de l'art actuel ou contemporain qui trouvent ici leur pain béni "voyez, un musée expose le vide" ! Beauté de l'ambiguïté de cette affirmation ! Où est l'art ? Où est la beauté ? Ca hurle contre sa réification dans des objets ! Ca va hurler contre sa dématérialisation ! Où ? Mais aussi QUE reste-il de l'art ? Et bien, il est LA : dans les corps humains qui viennent se souvenir ou qui se demandent ce qu'il y a à voir. Parce ce que quand même, des gens vont encore au musée, parce qu'il existe encore. C’est l’occasion aussi de se demander pourquoi ils (moi aussi) viennent ici. Parce que le principe du musée est encore admis, et Il est partout si on le décide (pour parodier le "war is over if you want it" de Yoko Ono).





Apprécier un angle / un coin de mur, une superficie de mur, sa masse. Tomber ou pas dans la mystique du vide (Yves Klein). Même si je l'ai senti venir en moi, pour ma part, non ! Surtout pas. Sentir un potentiel (l'envie de faire l'amour dans un musée), oui, car je préfère le coté débraillé et malicieux de Cage à la pompe ridicule de Klein.





Gérer ses propres yeux ! Pas facile ! Où regarder ? Combien de temps ? Continuer à regarder un mur, de l'espace vide, même si quelqu’un rentre dans la pièce et ne sait pas où vous regarder ! LA, oui, à ce moment là, ne pas retomber dans la mise à distance, le snobisme et la froideur, le nihilisme, ne pas faire un mouvement des épaules, du corps, pour signifier, il n'y a rien, ne vous inquiétez pas, je ne suis pas fou, je suis comme vous, ne pas faire comme si vous ne viviez pas une expérience riche (SI SI !) et bénéfique, ne pas avoir peur de s'enrichir même si l'on voit que l'autre, qui marche à coté de soi, n'y voit que pauvreté et nullité. Même s'il se sent inégal, trompé, s'il se méfie, s'il fait une remarque ironique en cherchant votre assentiment.






Remarquer le placement des éclairages au plafond, remarquer que d'habitude l'électricité, la lumière artificielle, participe de notre expérience et des sensations de l'œuvre. Sentir que les autres, la ville, l'époque sont là aussi, avec les œuvres et fusionnent avec elles, qu'on ne fait jamais une expérience absolue, objective et pure de l'œuvre : relative et donc toujours personnelle. Un spectateur devant une œuvre c'est un événement unique, calculé, brouillé, aléatoire, compliqué. Toujours inédit.








Toutes ces qualités et caractéristiques qui font la rencontre avec l'oeuvre, qui s'y adjoignent, comme le parfum et les vêtements de votre bien-aimée quand vous l'enlacez, toutes ces informations, sont ici exposées sans être effacées par l'œuvre, ce centre égoïste qui requiert toute l'attention. Finalement, ce vide contient beaucoup d'éléments, d'informations sensibles. On arrive donc ici au comble de la perversion : jouir des marges, de la périphérie, du retard du plaisir : le regard qui part en biais, mais c'est ce que tous les artistes au fond nous ont appris à faire ! Regarder à coté ou autrement que là où on nous dit de faire.





A lire les commentaires divers sur le net, les commentaires de Lunettes rouges par exemple, on se demande si les gens sont aveuglent ? Dire qu'il n’y a rien est une absurdité totale, de la pure folie ? L'espace, la lumière, l'architecture, l'air, les corps des autres, est-ce rien ? Comment vivrait-on sans ce rien ? L'occasion de remarquer une fois de plus que nous vivons VRAIMENT dans des idées et des concepts, des idéologies et des constructions mentales en permanence. Ce n'est que TRES rarement que l'on ouvre les yeux, que l'on se tait et que l'on a un contact avec le réel au lieu d'en penser quelque chose tout de suite. Sans religion et sans mysticisme, nous vivons vraiment dans des chimères (une idée assez étroite de ce que doit être la société), nous vivons dans et selon des valeurs (qui règlent notre quotidien du matin au soir) et non dans du tangible ou assez peu au fond, ou sinon il s'agit du tangible aléatoire et interchangeable (une voiture comme ci ou comme ça, un vêtement de cette couleur ou pas, ce travail ou un autre). La société est totalement cinglée et plongée dans un délire continu et cette expo qui propose une sorte de négatif, qui montre le socle sur lequel reposent ce délire repose est salutaire. Ca ne signifie rien, C'EST. Le musée et même le principe d’exposition sont là comme objet et comme matière visible. Le reste ensuite est construction et choix ... Mais à voir les critiques sur cette expo, on se dit que l'art, ses dynamiques et son énergie, ne sont toujours pas admis, sauf quand il s'agit d'objet et encore !








Le chemin est encore très long pour que l'humanité aime ou du moins tolère gentiment cette partie d'elle-même qui se manifeste sous le terme d'art. L'air de rien cette expo possède la vraie puissance d'une vanité, en l'agissant et non en montrant des images culturelles de vanités (natures mortes ou crânes omniprésent dans la mode).

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