samedi 16 juillet 2011

Kees Van Dongen

Retour de visite de l'exposition Kees Van Dongen au MAMVP et prises de notes ...



Kees Van Dongen, portrait d'une Zélandaise, 1898







Kees Van Dongen traite de l'apparition des corps dans les images et même de l'apparition des corps en général. Un corps joue avec un autre. Le corps dans l'image joue avec le corps de celui qui le regarde. Et ce jeu n'est uniquement possible que dans un terrain de jeu aux règles non dites, mais perceptibles : celles de la matière qui rend les corps visibles les uns aux autres : ici la peinture. Le pinceau et les pigments dans l'huile déforment autant les corps représentés que ces derniers manipulent et informent le geste de celui qui les peint.



Pour être plus précis encore, on peut dire qu'on a affaire à des personnages plutôt qu'à des corps et à des images plutôt qu'à des peintures. KVD expose un théâtre des corps sur la scène du social et de l'imaginaire. D'où son intérêt/ talent principal pour le portrait et pour le cirque ou le music hall; aussi bien du côté des spectateurs que de la scène et des coulisses. Il peint des personnages en images, images qui produisent de la pensée et des indices sur cette étrange chimie humaine.







Van Dongen, la jarretière, 1905






Dans ses meilleurs toiles, il conjugue présence des personnage, jeu avec sa palette, la lumière (saturée, blanche) et des compositions (ou des cadrages) suffisament étranges et singuliers pour transformer l'ensemble en une sorte de hiéroglyphe, d'énigme. Il peint des postures de corps qui fonctionnent de façon abstraite comme des Sphinx, clés cryptées de la rencontre et du désir entre le peintre et son modèle. Position des bras, place de la tête dans le cadre et sous la lumière, regard figuré et taches pateuse à la Van Gogh très localisée.





Van Dongen, femme au chapeau de roses





Ainsi en voyant l'exposition, j'ai pensé à de nombreux peintres, que je connais plus ou moins bien, des années 80 : David Salle et Eric Fischl mais aussi Robert Longo ou Cindy Sherman qui traitaient du même sujet avec d'autres moyens. On peut d'ailleurs dire que KVD n'est pas resté un bon peintre longtemps car il aurait du logiquement adopter les moyens actualisés de son art, la photo pop en couleur, la publicité, ou du moins le corps dans l'imagerie populaire (voir Picabia). Mais il s'agit là d'une question plus vaste, qui est celle qui a vu la peinture quitter l'europe dans les années 50 vers les Etats Unis, alors que chez nous les De Stael, Fautrier, Dufy, Léger ou d'autres étaient développés et actualisés par des Warhol, Lichtenstein, LeWitt ou Pollock entre autres. Question de statut social et d'absence de connection sociologique et symbolique entre la culture aristo des peintres d'ici tels Van Dongen et la culture pop/image du spectacle. KVD traite de cela, d'un corps qui s'expose, d'un corps en spectacle, donc travesti, grimé, déformé par la lumière du désir et des règles du populaire/de la foule avide de corps a voir.



Steven Shearer, as a boy, 2006



Van Dongen, femme rattachant son jupon, 1902-03



John Currin, mademoiselle, 2009








Van Dongen, Nini 1909







Bref, KVD, par son talent (ses cadrages, certaines compositions (la façon de placer le corps dans le rectangle du regard) et ses drôles de tendances de la touche (floues et cotonneuses en rythmes verticaux all-over répétitifs de façon localisé, soit sur les robes ou sur les arrières plans) joue avec les styles et le temps, avec notre vision très darwynnienne et vingtièmiste de l'art, désormais dépassée. Il pratique une sorte de post-impressionnisme tardif (en plein cubisme qu'il connait), tendance rigolard et urbain, revenu des campagnes et banlieues de ses ainés, quittant la vue d'ensemble du paysage pour des portraits en pieds et des lumières électriques, alors nouvelles, de la ville, quittant le calme et la profondeur de l'instant au soleil pour la fête, le vif, l'artifice, la torsion et disparition/apparition des corps dans la foule et l'électricité. Il glisse via le dessin et la caricature assez réjouissante vers l'expressionisme qu'il ne pratiquera pas vraiment. Il mèle une palette colorée fauve, nabis, Klimtienne parfois, donne dans un flou cotoneux (à partir de 1907) proche de Matisse ou des premiers Kandinsky mais sans l'alibi folkloriste ou paysan. Un peu comme du Watteau pop et bad painting. Comme s'il avait déréglé la focale impressionniste qui laissait voir les touches pour faire le point sur les traits et points saillants, multiples et mouvants d'un corps en scène, une mise au point sans cesse perturbée, avec pertes et abhérrations. Puis lorsqu'il pratique le portrait de commande en pied, grand format, plus rien ne bouge ni ne fuit, le face à face est neutralisé par le cadre social, chacun joue son rôle sans beaucoup d'échanges.






David Salle, Hitch hickers, 2011






Van Dongen, autoportrait en Neptune, 1922




Glenn Brown, le grand masturbateur, 2006






Il circule dans le temps et les touches/traces d'époques un peu comme Picabia ou De Chirico (en beaucoup moins bien c'est certain) et en mieux que Buffet. A la fois abstrait par endroit, impressionniste déchu, parfois fauve, finement caricatural et pré-photographique, pompeux et tendre, bref il se sert du passé récent de l'art de la peinture comme d'une garde robe. En cela, il est très post-moderne! KVD est finalement un peintre de la relation à l'autre, un peintre du choc des corps plutot que des idées sur l'art et la peinture, c'est sa faiblesse (pas de traités, manifestes ou leçons sur l'art) mais aussi son intéret maintenant que nous sommes après la bataille des idéologies de l'art (abstrait, pur, etc...)






Cindy Sherman, sans titre #112, 1982





j'ajoute ce lien trouvé récemment, vers painting people, livre sur la peinture récente focalisée sur le portrait ...


Aucun commentaire: