dimanche 8 février 2009

L'oeil de Monet

Ma première visite au Musée Marmottan, un musée pauvre, une scénographie très cheap, des murs orangés du pire effet, mais, quand même, une véritable sélection faite par les commissaires, qui traite le sujet de la vue et de la vision de Monet de façon transversale et pointue, au delà de la chronologie et des motifs traités par le peintre.

table de marqueterie de marbre (?!) du Musée Marmottan



Couché de soleil à Etretat, 1883, Musée de Nancy, ref 85-6-1
découpe d'un rocher en contre jour = la zone qui devrait donc apparaitre noir pour un esprit logique est ici pleine d'ondes et ondulations verdatres, grises, plus ou moins noires, enchevétrés de façon assez aveuglantes mais très simples d'exécution. Intéressants aussi les morceaux de rochers qui balisent la profondeur de champ et transparaissent dnas les flots, comme des coups de couteau dans l'eau, des déchirures d'obscurité dans la lumière aqueuse. Découpes et déchirures qui m'ont de suite faites penser à deux toiles de Magritte : décalcomanie et le double secret.


On va retrouver ces figures et archétypes de découpes de pointes sombres sur fond clair au travers de différents sujets et motifs : clochers d'eglises au fond d'un vaste paysage plat ou valonné, rochers encore, et la découpe du parlement de Londres, et les cathédrales de Rouen bien sur. Il ne s'agit pas seulement de pointes phalliques mais d'une masse irrégulière, échelonnée qui souligne les différences, comme une onde sonore (waveform) avec une pointe de volume, accompagnée et entourée d'autres variations de hauteurs intermédiaires. Comme des orgues rythmiques. (ce qu'avait bien vu Morellet lors de son intervention au Musée D'Orsay)




Pour Monet : une façade est une texture et comme elle est poreuse, elle devient une ruine. Elle s'effrite, se dissout et se diffuse comme un sucre dans l'eau. La cathédrale de Rouen ou la Gare St Lazare sont réduites à des structures géométriques et le motif fournit donc une composition ready-made (ogive, triangle, pointes, lignes verticales, pyramides, grilles). Via son traitement de la lumière, il montre une dérive du réel en morceaux flottants, d'où le choix de sujets aquatiques et réfléchissants : les rivières et bords de mer.


Monet perd donc la vue, il est riche et se fait soigner, on l'opère plusieurs fois (ce serait un sujet de film ou d'oeuvre contemporaine : l'opération chirurgicale de Monet !), il peint donc de plus en plus avec les doigts plutot qu'avec les yeux. Au sens où le regard ne corrige et ne contrôle plus ce que fait la main. il voit flou et mal ce qu'il fait (un scientfique a d'ailleurs recomposé ce que devait voir Monet de sa toile, image floue placée à coté de la peinture même). Donc peinture digitale : des doigts, peinture aveugle et tactile, déjà Pollock, peinture comme trace du geste plus que de l'image produite.



D'ailleurs je découvre dans l'expo que Monet peignait ses toiles à l'horizontale, pas au sol, mais au niveau des genoux, le corps penchée, en vue aérienne au dessous de la toile. Et bien-sur, vue qui superpose ciel et terre, le tableau-lac comme miroir du ciel. Regard de fou perdu dans l'espace entre les deux. Et oeil atomisé, pulvérisé dans l'atmosphère.
Deux images miroirs, inversées à symétrie horizontale : Nymphéas de 1907 (Marmottan, INV 5168) + En norvégienne (1887, Orsay, RF 1944-20) : image à l'envers comme retour à la base rétinienne, avant correction cérébrale. Et aussi matérialisation de la surface de la rétine, du support qui recueille l'image : visible et désignée par des points balises. Donc 3 images en même temps + leur support commun. Ces dispositifs de bascule, dessus - dessous, c'est ce que fera plus tard Rothko, à partir du tourniquet de métro (passer de dessous a en dessous : over/ground - under/ground)
En Norvégienne (1887, Orsay, RF 1944-20)
La diagonale de la compo mets donc les cannes a pèche en parallèle au niveau de leur reflets, cela evite que la canne + son reflet se touche ou converge. Image qui offre 2 points de vues : celui de DEVANT la barque si on regarde en haut et celui DANS la barque si on regarde la partie inférieure de la toile. On voit notre propre reflet comme si on était dans la norvégienne. Le titre s'applique donc autant aux personnages qu'aux spectateurs.

Rothko, entrance to subway, 1938

Picabia_lacheté de la barbarie subtile (carte à jouer), 1949, 76 x 52 cm



Vers les années 1918/et au cours des années 20 (il meurt en 1926), Monet barbouille de façon rageuse, il détruit, mais dépose et transmet une énergie folle et aveugle qui évoque la méchanceté froide de la fin de vie de Picabia, avec ses points, ses taches aveugles flottant dans la matière océanique de surfaces ondoyantes et opaques. Et on sait que malgré tout il y a encore une image derrière cette matière, il y aura TOUJOURS des images a venir, dedans et derrière. C'est jubilatoire !

Picabia, indécence

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Pour la toile de Monet, ce ne sont pas des rochers mais des voiliers qui parsement la toile

Ha ha ha