Telepathe (Melissa Livaudais et Busy Gangnes) ce sont d'abord des corps à la limite de l'androgynie, des corps insaisissables, des corps jamais apparus en images (du moins en tant que pop stars ou chanteurs/chanteuses, j'exclue top models et actrices). Des corps pris dans une narration post-webcam, post-Jackass, post TV-réalité et post YouTube. C'est-à-dire du banal sans glamour mais glamour du fait de refuser le glamour et d'apparaître dans le contexte des ruines du glamour que sont Internet et YouTube. Ces corps ordinaires mais beaux apparaissent via le web, là où l'on ne voit que des gros pixels, de la diffusion de niche, virale et non plus des stars révélées et "grand public" de l'ancienne tradition du vidéo clip pour chaînes télé musicale. Ou comment on en arrive au statut de star mondiale "indé".
Le clip de So fine formule donc un mythe contemporain : il présente ce groupe (de Brooklyn) au monde, et il s'agit du mythe d'une jeunesse dorée ET grise à la fois ! Dorée puisque Brooklyn est le centre du monde pop actuel (la projection mondiale du cool et du lifestyle urbain bobo branché). Grise car Brooklyn est aussi un village et un environnement immédiat, une sorte de Berlin transatlantique, une banalité donnée et déjà-là pour ce groupe qui y vit.
Filmée dans un appart de colocation, avec foutoir chic, instruments de musique au pied du lit et quotidien fait de balade à l'épicier arabe du coin et de sortie en boite (la société des loisirs achevée ?) Les corps de Telepathe sont sans dynamique, sans mouvements de transformation de soi, sans passage du banal au statut de la pop star. Au contraire, la continuité est totale entre jouer avec des bougies chez soi, faire les courses et danser dans la rue. La chorégraphie dans la rué étant le signe même de Jacques Demy à West Side Story de l'enchantement du réel banal et commun. On n'est donc pas dans le jeu attendu du quartier cool qui s'exporte et mets ses beaux habits ou bien qui voudrait nous faire croire que c'est trop "in" Brooklyn. Ca ne joue pas non plus le trash et le glauque rebelle / cheap pour pratiquer l'inversion monstrueuse (cf. la citation subliminale à Thriller dans la chorégraphie nocturne de rue - pas du tout synchro bien sur). Jadis, le groupe pop au début est mal fringué, fait ses pochettes et élabore son propre look puis avec le contrat avec une major, des graphistes ou photographes font leur pochettes, les réalisateurs de clip changent leurs looks, ils sont mieux coiffés, etc... Maintenant cela est pris e compte et en charge par le groupe lui-même dès le début, il décide et a les moyens de faire (grâce à la vidéo HD pas cher, aux ordinateurs perso et à l'auto production). Cet auto production ne dénote plus de différence visuelle avec le mainstream. Voyez pour comparaison les premiers clips ou pochettes de Sonic Youth, Jesus & Mary Chain pour prendre des symboles de l'indépendance pop, faits entre potes, mais tellement cheap et nuls.
Il semble que l'idée principale de cette mise en scène c'est de dire que la mise en scène ne dévoile rien que ce qu'on connaît déjà et que l'aura ne se localise pas là-bas mais à l'intérieur des corps et des esprits, de chacun, qu'il s'agit simplement d'une question d'univers personnel à construire en soi. Le tag/slogan de leur MySpace : "You know who you are". Pop féminine blanche anti-Breeders, anti-Bjork, anti-Cat Power, contre tous ces clichés de marketing pour vendre de la pop féminine. Les corps de Telepathe semblent d'ailleurs asexués : on s'ennuie, on danse ou glande, pas de lovestory, pas de couples ni d'héroïsme solitaire non plus. Flou total entre duo, couple (lesbiennes sans aucun signe communautaire ?!), soeurs, frères presque, potes, complices, gang à 2 ... ou parodie de l'image du gang, la nuit, autour d'une poubelle / bidon de métal (sans feu à l'intérieur), et la danse dans la lumière des phares de voiture pas du tout hollywoodienne, cliché du Bronx (cf. l'hommage à Snoop Dogg sur leurs photos) et des premiers rappers, retour aux sources du hip hop et de l'électro US, mais avec des gilets en laine (!), pop (le supermarché) et une culture new-wave anglaise apprise sur internet.
"So fine" est donc un clip-document sur un état et un moment historique de la jeunesse blanche urbaine occidentale surtout sous l'angle de sa représentation ET de sa soumission à l'idée même de représentation. L'adolescence étant ce moment justement où on passe d'un corps invisible à un corps qu'il va falloir gérer, dédoubler entre intime (et ses transformations) et social (séduction, échanges). Le montage et la narration condensent les corps du duo en un seul corps ambivalent et biface. Le corps féminin de ce groupe (est ce que la brune = la blonde) est deux personnes différentes mais interchangeables (comme MGMT). Remarquez aussi que jamais elles ne partagent un même plan, elles alternent ou s'effacent l'une l'autre ou bien se dispersent et se démultiplient dans la foule anonyme qu'on peut prendre pour des incarnations alternatives et déguisées du duo. (cf. la vidéo interview hallucinante déguisée en nerd, mais ça n'a pas l'air d'un déguisement ...)
La participation au SHOW : bouger, danser, sourire, s'exprimer se fait à minima. Voyez la blonde chanter assise et immobile au bord du lit. Pas de look autre que celui travaillé dans l'ordinaire, pas de vedette mise en avant : le seul don fait à la caméra (à peine regardée et du bout des yeux) c'est la perruque blonde. Portée comme un masque et un cliché mais mort, à peine activé et investi.
Il y a bien parade mais distanciation de cette parade. Si la timidité et le malaise sont évidents et étonnants pour des jeunes groupes actuels, cela devient une esthétique ici, à cause de l'aplomb et de la puissance que la musique donne à ces scènes filmées. Même esprit : pop sans illusions, exorcisme de la bêtise du spectaculaire hors du corps afin de retrouver le désir et le plaisir qui naît de ce même corps. dans cette vidéo (the youth)
1 commentaire:
Bel article.
Ce groupe m'attire par cette ambiguïté des personnages, ça m'intrigue !
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