lundi 1 juin 2009

A propos de Less Than Zero

Ca faisait quelques mois que je relisais tout doucement Less than zero de Bret Easton Ellis, pour rester dedans et profiter de son rythme et de son état d'âme. Je viens de le finir.


Le résumé : Clay rentre de la fac/du lycée pour les vacances, retrouve vaguement ses soeurs et ses parents et circule d'une maison, d'une fête, d'un groupe d'amis, d'un restaurant, d'un bar à l'autre.Il ne sait s'il va ressortir avec Blair et repense à sa grand mère morte il y a quelques années Nous voyons cette faune d'adolescents, souvent de 15 à 17 ans, au travers des yeux de Clay, ce personnage dont on ignore l'apparence (on apprend parcimonieusement qu'il est blond, bronzé, cheveux court et sans doute mignon mais on peut s'imaginer à l'intérieur de lui sans difficultés). Cet été à L.A. permet de décrire une classe sociale oisive et ennuyée, une ville, des modes de relations sociales et fait apparaitre progressivement une sorte d'enfer caché en transaprence dans ce décor mélancolique et ensoleillé.







Ce qui est passionnant dans la lecture de ce roman de 1985, le premier de BE Ellis (écrit à 20ans !), ce n'est pas tant le coté glamour/moralisateur ou glauque/décadent, ni l'évolution progressive vers des scènes de violences de en plus crues, même si rares et ponctuelles. C'est plutot le style et la voix du personnage et de l'auteur à travers ce personnage. C'est aussi le montage composé par le regard de ce personnage, en caméra subjective tout du long. Un regard qui me rappelle énormément Robert Bresson ou Tsai Ming Liang. La langue est très simple, un anglais basique et des phrases très simples : sujet-verbe-complément ou objet et énormément de "AND", de ralongement de la phrase par "ET" pour enchainer soit une autre action, soit un autre nom de personnage soit un autre souvenir. Les enchaînements de causes et d'effets, l'analyse et l'exploration psychologique a disparu au profit d'une juxtaposition continue, d'un flux égal entre les mots eux-même et entre ce qu'ils contiennent et ce qu'ils décrivent : personnes, lieux, actions. Ellis ne décrira rien que n'aura pas vu son personnage, il est enfermé dans son point de vue et sinterdit donc toute interprétation et jugement sur les autres car Clay est comme sonné, absent, DUMB !







Logiquement c'est Clay qui souffre en fait du parti pris esthétique de l'auteur, Ellis veut avoir un point de vue incarné mais non-interprétatif et anti-psychologique sur les autres, sur ce milieu qu'il décrit. Donc il éteint cette voix intérieure de son personnage, pour le réduire à un enregistreur, ce que Blair (son ex) va reprocher à Clay aux derniers chapitres. Alors que Ellis a insinué malgré tous ces efforts de neutralité un jugement moral sur ce microcosme, ce dont on pouvait se passer.




L'aspect le plus frappant de ce nivèlement du réel par le style et le phrasé réside dans le balisage des phrases par des mots-signes culturels, ce qui fonctionne très bien avec la langue anglaise en VO, car le lecteur passe de noms propres de personnages (Clay qui signifie Argîle, Rip qui signifie Déchiré, Spin qui signifie Tournoyant) aux noms de lieux (les quartiers de LA, les nombreux restau et bars et clubs : mais aussi les chansons pop qui traversent l'air et les scènes - Clash, X, Go-go's, Psychedelic furs, human league, Fkestones, Squeeze, U2 etc) qu'il faut bien-sur lire comme des références mais aussi de façon littérale comme des mots poèmes, comme des signes concepts flottants et faisant leur apparition au milieu des corps et du langage, parasité par encore plus de textes : sur des T-Shirt, des plaques minéralogiques ("DECLINE"), des posters (le regard de Elvis Costello) et des affiches publicitaires ("disappear here"). Le lecteur et personnage circule dans une atmosphère de signes, de signaux qui s'accumulent, s'empilent par effet de mémoire et de retour, de répétitions et élaborent une tension sourde et sombre (la présence de coyottes, la rumeur de meurtres ou de personnes mortes d'overdose) qui va aller croissante vers la fin de façon trop prévisible (qui se veut visionnaire de l'au-delà des apparences) est trop moralisante. On croise un coyote écrasé et agonisant, puis le visionnage d'un snuff movie puis un viol pédophile puis le proxénétisme.






"Less than zero" (le livre) est filmé, capté et transcrit non pas de façon neutre, (ça n'existe pas). On pourrait dire que Ellis décrit purement la surface visible des choses (façon Perec) ici réduite à des détails culturels typiquement décryptés par les ados (couleurs de vétements, marques d'objets, coiffures) mais aussi au travers de l'expression et observation fine des visages, de ce qui traverse les regards. On passe par des dialogues totalement creux mais trancrit en détails, dit-elle, dit-il dit-elle dit-il, retour à la ligne à chaque fois. Ellis privilégie l'énumération et la succession des actes et des mots, de façon linéaire, refusant clairement la synthèse narrative et l'analyse psychologique.




Le talent de Ellis réside dans la micro observation de gens qui ne font rien et échangent très peu. Ce qui en feraient des figures-clichés issus de clips ou de séries TV, sauf qu'il réussit à en faire des personnages vivants, et cela passe par la transcription des silences, des regards détournés, de la manipulation nerveuse d'objets, de personnages secondaires et multiples croisés, de point de vues observant des actions lointaines dans leur champs de vision en même temps qu'ils discutent de sujets passant du coq à l'âne. On passe d'une vision panoramique par la fenêtre à des micro-détails (des fourmis dans un yahourt), d'une conversation tendue et intime à des affiches publicitaires dans la même phrase. On change d'échelles sans changer de style et de ton. Le factuel, le mental, le publicitaire, l'émotionnel, le souvenir, l'accident brusque, l'horreur humaine dans un même style : ni pop, ni baroque, ni moderne forcé, simplement dans une langue simpliste, scolaire même mais subtilement montée (au sens cinématographique) et filtrée par un regard mécanique et impartial. Zapping et collage mais totalement appaltis et sans cicatrices grace à la durée et au silence qui le enveloppe.







capture d'écran de "les 4 nuits d'un rêveur" de Robert Bresson




Ce silence est ce qui m'a le plus captivé, on sent un silence de fond, un calme, une façon posée et impassible de suivre son personnage, dé crire ses pensées, flashbaks, ses états ou la dissimulation de ses états intérieurs. La mise en page de cette édition en larges caractères très aérés y fait beaucoup mais le choix d'une vue de LA en couverture (composée par David J. High), vue d'un ciel s'évanouissant dans le blanc du papier retranscrit parfaitement ce style blanc et sec qui décrit une atmosphère autant qu'un paysage mais au travers d'un photographie, une image détaillée et précise, nette et classique (posée, cadrée, allemande pratiquement, signée Chris Hiller).




Ce silence est évoqué par la blancheur de L.A., le soleil dans le récit, le coté plat (sans ombre) des phrases et des actions (pas de personnages) et par la présence visuelle des mots, mots-images des noms propres et des marques ou des groupes de pop music. Blancheur aussi pour ce coté juxtaposé, comme aligné sur des étagères des maillons de la chaînes du récit et de la langue - segmentés et désinervés (comme on enlève les nerfs et les veines d'une viande)




En lisant, j'imaginais toujours les actions filmées par Bresson, des axes étranges mais fixes et droits sur le sujet. Rien à voir avec le style clip et baroque de Gregg Araki qu'on a souvent associé à cet univers. Ceux qui ont adapté Ellis au cinéma n'ont vu que le sujet et le folklore local, la jeunesse dorée de LA, et ont ignoré la lumière et le regard qui était porté sur elle en littérature par Ellis.




Le récit et le style n'est pas pour autant monolithique et d'une seule tonalité. Au contraire, ce style scolaire linéaire et factuel permet de façon capricieuse et à peine perceptible (comme on est pris dans une torpeur particulière) des accélérations, de la souplesse, des sautes abruptes entre des ellipses inexpliquées et des dilatations du temps. On passe sans même s'en rendre compte des nombreux détails d'une situation simple ou ayant duré peu de temps à une compression d'une seule journée en 2 lignes. On passe d'un regard photographique, exploratoire et en profondeur à un cut-up façon clip-MTV. On passe d'un regard scrutateur qui voit et vit tout comme au travers d'une photographie hyper nette à des enchainements factuels super abstraits et elliptiques. On change de pièce, de restaurant, de partenaire et d'état d'âme en 3 lignes alors qu'on reste parfois 3 pages avec des personnages qui ne font strictement rien assis au bord d'une piscine. Jamais ou peu d'adjectifs qualificatifs pour créer du relief émotionnel, pour distinguer un fait d'un autre. Parfois une phrase en fin de chapitre ou coincées au mileu d'un long paragraphe émerge à peine comme comme une confession d'une émotion, d'un regret murmuré, d'un sentiment et n'en est ainsi que plus touchante. Ces trouées d'humanité et d'individualité hantent une existence hyper sociale et relationnelle. Ces ponctuations sont poignantes sans s'afficher ni avoir de conséquences sur la suite du récit et ni sur les perceptions du personnage qui nous sert de filtre et de point de vue.(voir autre post)




Thomas Schutte : zombie III, 2007




Chaque châpitre, ni numéroté ni titré, est une séquence, non réliée aux autres. Le temps des horloges ne compte absolument pas puisque personne ne travaille et que tous les jours sont identiques. On sait simplement qu'ils se suivent mais selon une linéarité trouée et désarticulée, sans hiérarchie établie entre moments transitoires et noeuds dramatiques. Vers la fin, des séquences en italiques de plus en plus fréquentes, des flashbacks autour de la grand-mère de Clay et de sa mort viennent contredire cela et font office de clé psychanalytique un peu faible (au moment où il décide justement de ne plus aller chez son psy)










On trouve aussi ce qui sera développé dans American Psycho et repris par Houellebecq dans L'impossibilité d'une île ou Extension du domaine de la lutte), ce décalage entre réalité / perception / énonciation : 3 vitesses différentes qui isolent le personnage et font de la réalité autour une sorte de rêve perçu à travers un voile. Le personnage doute de ses liens avec ses émotions et avec la réalité qui les a, peut-être, provoquées. Alors, il devient impossible de dire si c'est le personnage qui se dissout et disparait ou si c'est la réalité autour de lui qui perd toute consistence. Ce coté "drogué" et déconnecté fait vraiment partie du plaisir à lire Ellis, C'est un détour dans un monde artificiel qui anesthésie le lecteur et le coupe de sa réalité immédiate, par contamination avec le personnage de Clay, mais profite du fait que nous avons de la distance avec lui (nous tenons le livre dans nos mains). Ce qui crée le silence autour de soi (impossible pour moi de lire ce livre avec de la musique dans la pièce) et vous ramène paradoxalement à vous-même, vous réveille et vous place dans une sorte de solitude et de degré zéro dans notre rapport à la langue et à notre existence/présence sociale. Comme une vanité hollandaise, séduisante mais sur fond de néant, elle fait le ménage et recentre l'individu sur lui-même, le nettoie de l'information superficielle qui nous pénètre au quotidien (actualité, distractions) pour nous amener au danger de se regarder en face et nu dans le miroir qu'est Clay, un être de fiction, un "Je", un "I" anglais, si évanescent mais si palpable et si réel. Isolé, perdu dans le temps et l'histoire ("lost in space, lost in time & lost in meaning" comme ils chantent à la fin de Rocky Horror Picture show) Clay est une chimère mais un frère jumeau qu'on connait si intimement bien.


1 commentaire:

carolina a dit…

maxi

je n'ai jamais lu "less than zero", AND your "about" less than zero, is a big input for reading it...AND is great
bye
caro